Élections au Mexique

Un populiste aux portes du pouvoir

Demain, les Mexicains iront aux urnes au terme d’une campagne électorale sanglante durant laquelle plus de 130 politiciens ont été assassinés. Et s’il faut en croire les derniers sondages, ils semblent prêts à donner un bon coup de volant vers la gauche. Explications.

Il promet de débarrasser la nation d’une élite politique sclérosée, corrompue et arrogante. Il dit vouloir faire passer son pays en premier. Il n’hésite pas à dénigrer les médias et d’éminentes institutions comme la Cour suprême.

Non, il ne s’agit pas de Donald Trump, mais bien d’Andrés Manuel López Obrador, leader populaire et populiste qui a toutes les chances d’être porté au pouvoir au Mexique par des millions d’électeurs séduits par ses promesses de changement.

Il s’agit des élections les plus importantes de l’histoire du pays, non seulement par leur taille – les Mexicains choisiront demain un président ainsi que des députés, des sénateurs, des maires et des gouverneurs –, mais aussi par le bouleversement politique qu’elles risquent de provoquer dans le pays de 125 millions d’habitants.

« Ensemble, nous ferons l’histoire », a martelé Andrés Manuel López Obrador – mieux connu au Mexique sous l’acronyme AMLO – en campagne électorale. Ses partisans n’exigent rien de moins de sa part. « Ses adversaires craignent qu’il y arrive, de la mauvaise façon », ironise le magazine The Economist.

Tout comme le candidat Trump, qui avait promis d’« assécher les marécages de Washington », AMLO promet d’éliminer la « mafia du pouvoir » qui contrôle Mexico.

Tout comme Trump, il se présente comme un outsider venu en politique pour y faire un grand ménage.

Mais là s’arrêtent les comparaisons. M. López Obrador, que les sondages donnent largement gagnant contre ses adversaires, s’apprête à imposer un virage serré à gauche au Mexique, après des décennies de règne dominé par des politiciens technocrates de centre droit. Il promet de soutenir les pauvres.

Surtout, il promet d’endiguer la violence et la corruption, qui ont atteint des sommets durant la présidence d’Enrique Peña Nieto. L’année 2017 a été la plus meurtrière en 20 ans au Mexique, avec 25 339 homicides, presque tous restés impunis. Pas moins de 14 gouverneurs – passés et présents – des 31 États du Mexique font actuellement l’objet d’une enquête pour corruption ou collusion avec des narcotrafiquants. Et la moitié de la population se dit forcée de verser des pots-de-vin aux fonctionnaires pour obtenir des services.

Aujourd’hui, les Mexicains crient : « ¡ Basta ! »

Un candidat réinventé

Diplomate de carrière, Andrés Rozental n’est pas convaincu que M. Lopez Obrador soit l’homme de la situation pour soigner les maux qui affligent le Mexique. « C’est toujours inquiétant d’avoir un populiste au pouvoir, surtout s’il obtient une majorité dans les deux chambres du Congrès mexicain », explique en entrevue cet ancien ambassadeur du Mexique au Royaume-Uni et en Suède.

Le risque, dit-il, c’est que le Mexique se retrouve avec une présidence sans contrepoids.

C’est la troisième fois qu’AMLO, ancien maire de Mexico, tente de décrocher la présidence du Mexique. La première fois, en 2006, il avait si peu digéré sa défaite qu’il avait crié à la fraude et s’était autoproclamé président légitime. Ses partisans avaient bloqué une artère de la capitale pendant des semaines.

Depuis, M. López Obrador a poli son image, convient M. Rozental. 

« Il a davantage attaqué les institutions mexicaines lors de la dernière campagne électorale, il y a six ans. Cette fois-ci, il a modéré son discours et ne parle plus de dissoudre les institutions. Il se concentre sur les thèmes que les Mexicains trouvent les plus urgents : la corruption et la violence. » — Andrés Rozental

AMLO tente aussi de rassurer la classe moyenne en promettant de présenter un budget équilibré, de respecter l’indépendance de la banque centrale et de ne pas augmenter les impôts. Il espère ainsi faire taire les prophètes de malheur qui prédisent que le Mexique est sur le point d’élire son propre Hugo Chávez – un autre populiste de gauche, dont la révolution bolivarienne a précipité le Venezuela au fond du gouffre.

« C’est la rhétorique habituelle des opposants », constate Jorge Pantaleon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). « Dès que quelqu’un propose de réviser quelques politiques économiques, on brandit le fantôme de Chávez. »

Andrés Rozental est également d’avis que la comparaison ne tient pas la route. « L’économie mexicaine est beaucoup plus solide que celle du Venezuela, qui dépend seulement du pétrole. De plus, le déficit d’institutions du Venezuela est énorme. Ce n’est pas du tout la même chose. » Quel que soit son futur président, le Mexique n’est pas sur le point de s’effondrer, assure-t-il.

Par ailleurs, les diatribes antimexicaines de Trump ont jusqu’à présent joué en faveur d’AMLO, qui a juré de se tenir debout face au président des États-Unis. Une fois au pouvoir, toutefois, il ne pourra faire autrement que de composer avec son puissant voisin, estime M. Rozental, qui a aussi occupé le poste de sous-secrétaire d’État aux Relations extérieures du Mexique.

« M. López Obrador devra trouver un modus vivendi pour travailler avec le gouvernement américain, dit-il. Les relations économiques et sociales entre le Mexique et les États-Unis, comme les relations canado-américaines d’ailleurs, sont trop importantes pour simplement y mettre un terme sous prétexte qu’on n’a plus envie de parler avec M. Trump ! »

Plus de 100 politiciens tués

Fernando Purón venait de prendre part à un débat électoral dans la ville de Piedras Negras, près de la frontière américaine, quand un partisan lui a demandé de poser avec lui pour un selfie. Les deux hommes souriaient pour la caméra quand un troisième homme a surgi par-derrière – et a tiré une balle dans la tête du candidat.

C’était le 8 juin. M. Purón est devenu ce jour-là le 112e politicien assassiné au cours de la campagne électorale qui s’achève au Mexique.

Depuis, l’hécatombe s’est poursuivie. En date du 26 juin, le pays en était à son 133e politicien abattu. Parmi eux, 48 candidats aux élections, selon Etellekt, l’entreprise spécialisée en analyse de risque qui tient ce macabre décompte. En 2012, neuf politiciens, dont un seul candidat, avaient été assassinés.

Les analystes d’Etellekt ont expliqué cette violence politique par la fragmentation des cartels mexicains. Les gangs cherchent des appuis par tous les moyens et éliminent les politiciens qui le leur refusent. Juste avant de mourir, Fernando Purón avait vanté, en débat, son combat contre le cartel de Los Zetas.

Mais l’explosion de violence ne touche pas que les politiciens. Plus de 200 000 personnes ont payé de leur vie la guerre aux narcotrafiquants déclarée il y a 12 ans par le gouvernement mexicain. Des meurtres commis en toute impunité ; seulement 2 % d’entre eux ont été élucidés.

« Ce sera la grande priorité de M. López Obrador lorsqu’il sera au pouvoir, dit Andrés Rozental. Il parle beaucoup d’éliminer la violence, mais, jusqu’à présent, il n’a jamais dit comment il pensait s’y prendre. Son gouvernement sera jugé là-dessus. À mon avis, ce sera très difficile. » Il faudra « des générations », craint-il, pour mettre un frein à la violence qui ravage le Mexique.

Les intentions de vote

Andrés Manuel López Obrador Mouvement de régénération nationale (Morena) 

37,7 %

Ricardo Anaya À la tête d’une coalition gauche-droite 

20 %

Jose Antonio Meade Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir) 

17,1 %

Jaime Rodríguez Indépendant 

3,1 %

Source : Consulta Mitofsky, 24 juin 2018

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