Proxénétisme

La chasse aux proxénètes donne peu de résultats

En près de 10 ans, 253 accusations formelles ont été portées contre des proxénètes partout au Québec, montrent des données inédites du Directeur des poursuites criminelles et pénales obtenues par La Presse. Un chiffre que la criminologue Maria Mourani juge « dérisoire ».

Le tableau, que nous avons obtenu en vertu de la loi sur l’accès à l’information, recense les diverses accusations en matière de prostitution entre janvier 2007 et février 2016. Il montre que c’est à Montréal que le plus grand nombre d’accusations contre des proxénètes, soit 234, ont été portées. Nos chiffres ne disent pas combien de ces hommes accusés ont effectivement été condamnés au terme d’un procès ou après avoir plaidé coupable.

Chose certaine, « c’est très peu », estime la criminologue Maria Mourani, qui a présenté un projet de loi aux Communes pour faciliter le travail policier contre les proxénètes qui se livrent à l’exploitation sexuelle. Le projet de loi est toujours en attente de la sanction gouvernementale.

« C’est dérisoire si on compare à l’ampleur du phénomène sur le terrain. Dans une opération policière bien faite, on pourrait facilement arrêter une centaine de proxénètes d’un coup. Un réseau de proxénètes peut facilement compter 50 hommes », dit-elle.

Ces chiffres évacuent une partie de la réalité, tempère cependant le criminologue Michel Dorais, puisqu’ils ne comptabilisent pas les accusations contre des proxénètes mineurs. « Mais ce n’est sans doute pas la majorité. »

Pourquoi si peu d’accusations ? « Les dossiers de proxénétisme et de traite de personnes sont des enquêtes d’envergure qui demandent beaucoup de temps et de ressources. Ça demande énormément d’énergie aux corps policiers », souligne l’inspectrice-chef Johanne Paquin, responsable de la stratégie sur la prostitution et la traite de personnes au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Les escouades qui s’occupent de l’exploitation sexuelle ont toujours été sous-financées. Quand vous comparez avec les budgets dévolus au trafic de drogue… ça n’a rien à voir. »

— Maria Mourani, criminologue

Les chiffres que nous avons obtenus ne permettent pas de dénombrer le nombre d’accusations portées contre des clients. On dénombre 461 accusations pour des infractions se rattachant à la prostitution, en vertu de l’article 213 du Code criminel, qui a été invalidé par la Cour suprême en 2013. Cet article portant sur la sollicitation touchait aussi bien les prostituées que leurs clients.

Le plus grand nombre d’accusations déposées en vertu de l’article 213 est à Longueuil, soit 98 au cours des neuf dernières années. Laval suit de près, avec 84 accusations.

MONTRÉAL AU BAS DE LISTE

En cette matière, on peut certainement dire que Montréal est une société distincte : seulement six accusations déposées contre des prostituées ou des clients en près de 10 ans. Pourquoi ? « Pour nous, la prostituée est davantage perçue comme une victime. On va intervenir en mode aide avec elle : on ne frappera pas sur le clou inutilement. Les policiers à Montréal comprennent très bien cette situation », souligne Mme Paquin.

Quant aux clients, l’inspectrice-chef souligne les trois accusations déposées l’an dernier contre des hommes qui avaient acheté des services sexuels, en vertu du nouvel article 286. L’arrêt Bedford, rendu par la Cour suprême, est en effet venu changer les lois sur la prostitution au pays en décembre 2013, criminalisant clairement l’achat de services sexuels. L’article 286 n’est en vigueur que depuis décembre 2014.

« Ces trois clients ont été arrêtés durant le Grand Prix. On ne se le cachera pas : il y a de la prostitution à Montréal pendant cette période. On a donné le mot d’ordre de ne pas épargner les clients », explique-t-elle. 

« Avec l’arrêt Bedford, on n’a pas le choix : monsieur achète des services sexuels ? Il est passible d’accusations. »

— L’inspectrice-chef Johanne Paquin

À l’échelle du Québec, seulement sept accusations ont été déposées en vertu de ce nouvel article. Une situation qui désole Maria Mourani. « C’est totalement décourageant, mais ça ne m’étonne pas. Ça fait un an que la loi a changé ! Qu’est-ce qu’ils attendent ? Il y a eu très peu d’arrestations de clients et ce n’est pas normal. J’ai très hâte de voir une opération policière d’envergure contre les clients ! »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

L’ARRÊT BEDFORD EN BREF

L’arrêt rendu par la Cour suprême en décembre 2013 a profondément changé les lois qui régissent la prostitution au pays. Elle a invalidé trois articles-clés du Code criminel qui criminalisaient notamment le fait d’offrir des services sexuels pour rendre désormais criminel le fait d’acheter et de publiciser des services de nature sexuelle.

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