Société

Hier, les calèches, aujourd’hui, la belle vie

Tracter des calèches et trotter au cœur de la circulation, c’est terminé. Maintenant que leurs œillères ont été ôtées, Maximus et Freddy peuvent fixer de nouveaux horizons et tirer profit de leur nouveau train de vie, ô combien paisible, depuis que ces deux chevaux retraités ont été accueillis dans un refuge champêtre de Vaudreuil-Dorion, fin janvier.

En entrant dans l’écurie du gîte animalier Une histoire de chevaux, on remarque, cloués au mur, des bracelets sectionnés et frappés du logo de la Ville de Montréal. Minces mais lourdes de sens, ces bandes, qui étaient encore enfilées autour des pattes des deux percherons il y a quelques semaines à peine, symbolisent on ne peut mieux l’affranchissement de ces anciens membres de la cohorte chevaline de Calèches Lucky Luc, sommée d’arrêter ses services au début de l’année.

Les détracteurs de l’activité y verront des menottes brisées. D’autres, les lauriers de loyales années de service. Mais ici, dans cet asile équestre à l’ouest de Montréal qui vient tout juste d’accueillir Maximus et Freddy, on ne porte aucun jugement. Comme le chantait Brassens dans Le petit cheval, c’est « tous derrière, lui devant ».

« Luc Desparois [propriétaire des Calèches Lucky Luc] nous a contactés pour nous confier Maximus et Freddy, explique le directeur du refuge Une histoire de chevaux, Mike Grenier. On a une relation de confiance avec lui, nous avons accueilli par le passé six anciens chevaux de calèche.

« Nous, on est neutres par rapport aux calèches, la seule chose à laquelle on pense, c’est le futur du cheval et ses besoins. On regarde l’avenir, on va vers l’avant. »

— Mike Grenier

Et devant, se profile un horizon radieux, soutenu par un changement de décor radical. Pour le duo citadin, c’est un peu un tout-inclus cubain chevalin. Voyez plutôt : belle vie de plein air au sein de paddocks, avec accès à une vaste prairie où se défouler les sabots. Trois repas par jour, personnalisés et parfaitement calibrés, avec bar à foin. Accès aux écuries en cas de mauvais temps. Suivi vétérinaire régulier. Et surtout, plus de 90 bénévoles qui se relaient toute la semaine pour prodiguer des petits soins et nettoyer le crottin. Un petit paradis qui devrait même s’agrandir dès l’été prochain, un accord ayant été conclu avec le propriétaire des terres fermières avoisinantes.

S’intégrer au petit trot

Porter des fers à cheval n’a jamais autant semblé attirer la chance : Maximus et Freddy ont bénéficié des deux dernières places disponibles dans ce sanctuaire, qui affiche désormais complet. Ne reste plus qu’à s’intégrer et à se familiariser avec les 10 autres pensionnaires, qui ont tous leur histoire à raconter. Certains, comme l’ex-étalon Buddy, ont frôlé l’abattoir ; d’autres souffrent de maladies, tel Chocolate, diabétique ; quant à Rocky, qui foulait jadis les pistes de course, il a vu sa carrière brisée en même temps que sa cheville.

Pour leur acclimatation, facilitée par leur caractère doux et docile (« Ils ont tout vu », rappelle le directeur), les nouveaux venus peuvent aussi compter sur deux crinières connues, celles de Blanco et Ulysses, deux vétérans des calèches du Vieux-Port, légués au refuge il y a trois ans pour une retraite définitive.

« Ici, certains sont à la retraite permanente, d’autres peuvent être adoptés et replacés ailleurs », explique Marie-Claude Gauthier, bénévole et chargée du comité adoption et secours du refuge, précisant que les relogements s’accompagnent de suivis très sérieux.

En selle pour l’avenir

Alors, quel sort sera réservé aux petits derniers qui, par ailleurs, présentent une parfaite santé ?

Pour l’imposant Maximus, percheron noir âgé de 25 ans (l’équivalent de 75 ans en âge humain), la question est réglée : après 15 ans au service des caléchiers, il écoulera ses vieux jours chez Une histoire de chevaux, assure M. Grenier. Il y est d’ailleurs déjà aux anges, ayant noué une idylle avec la jument Maggie peu après son arrivée ! Mais pas d’amour sans étincelles, puisque Jack, l’ex de cette dernière, s’est vengé en infligeant une morsure à son rival. Un roman chevaleresque à suivre ?

Quant au fringant Freddy, fier cheval blanc d’une dizaine d’années (donc trentenaire s’il était humain), il a encore de belles années devant lui, après deux ans de service, ce qui pourrait éventuellement en faire un candidat à l’adoption. Mais pour les instances du refuge, il est hors de question de prendre une décision trop rapidement. « Pour le moment, on veut qu’il profite du temps ici. On ne le connaît pas encore, on observe son comportement. Rien n’est décidé », tempère le directeur, qui laisse ce percheron seul dans son paddock, le temps qu’il s’habitue aux rapprochements avec ses congénères.

Une seule chose reste sûre et certaine : tirer les calèches, c’est chose du passé. Et ceux qui sont toujours allés de l’avant dans les rues de Montréal auront désormais une autre vocation, celle d’aider non plus des touristes, mais d’autres humains, dans leur cheminement : le refuge reçoit régulièrement divers groupes – femmes victimes de violences, personnes ayant un spectre de l’autisme, etc. – venus tirer quelques bribes de bien-être du contact avec les chevaux.

En caressant la tête de Maximus et de Freddy, les invités passeront inévitablement la main sur deux profondes cicatrices en forme de V inversé, gravées sur leur chanfrein : les marques laissées par la bride de leur ancienne vie. Les mêmes stigmates s’observent chez Ulysses et Blanco, mais sérieusement estompés. Le poil finit toujours par repousser. Surtout quand on regarde vers l’avant.

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