Valeur nutritive des aliments

Deux fois moins de vérifications

Vous comptez sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) pour vous assurer que votre sandwich contient vraiment 480 calories. Pas 100 calories de plus, comme le montrent les analyses faites par La Presse. Or, le nombre de tests de vérification de l’étiquetage nutritionnel menés dans les laboratoires de l’agence fédérale a chuté de plus de la moitié, en cinq ans.

Alors que 2721 analyses nutritionnelles avaient été faites dans les laboratoires de l’ACIA en 2009-2010, à peine 1097 analyses ont été recensées en 2013-2014. Plus inquiétant : le nombre d’analyses révélant une non-conformité – constatée quand les valeurs de l’échantillon ne correspondent pas à celles de l’étiquetage – est six fois moins important qu’avant (il est passé de 232 à 40).

TESTS DE VÉRIFICATION DE LA CONFORMITÉ DE L’ÉTIQUETAGE NUTRITIONNEL MENÉS PAR LES LABORATOIRES DE L’ACIA

APPROCHE AXÉE SUR LES RISQUES

Comment expliquer cette baisse ? « Au cours des dernières années, une approche plus ciblée a été prise, où l’échantillonnage se fait surtout là où, sur la base des observations d’inspection, des non-conformités sont soupçonnées », a répondu par courriel Denis Schryburt, du service des relations avec les médias de l’ACIA.

Au total, 1427 inspections ont été réalisées à la suite d’une plainte concernant l’étiquetage, entre le 1er avril 2011 et le 31 mars 2014. La Presse n’a pas pu obtenir la liste de ces inspections. « La liste en question comprend une importante quantité de renseignements commerciaux confidentiels ; elle ne peut donc pas être diffusée », a indiqué M. Schryburt.

PAS ASSEZ D’INSPECTIONS

« Est-ce que l’ACIA a la capacité de faire un suivi serré de tout ce qui sort sur le marché ?, se demande Chantale Arseneau, professeure en technique de diététique au Collège de Maisonneuve. Je ne suis pas certaine de ça, surtout si on inclut les produits importés. »

« Je pense qu’il n’y a peut-être pas assez d’inspections, surtout chez les manufacturiers d’ingrédients », corrobore Carole Fournier, nutritionniste et présidente d’Étiquetage ACC, une firme d’experts en étiquetage alimentaire.

« Par le passé, on prenait la liste des ingrédients d’un produit, puis on allait vérifier si c’était vraiment ce qu’il y avait dedans, témoigne Rick Cormier, deuxième vice-président exécutif national du Syndicat de l’agriculture, qui représente les inspecteurs de l’ACIA. Les inspecteurs le font encore, mais moins souvent qu’avant. L’Agence a établi des priorités, et ce n’en est pas une. Je pense que l’étiquetage correspond à la réalité, la plupart du temps. Mais on est plus inquiets pour les importations. »

PRIORITÉ AUX ALLERGÈNES

L’ACIA comptait 4639 membres du « personnel d’inspection » en mars 2014. C’est un peu moins qu’au cours des quatre années précédentes, où ce nombre a varié entre 4703 et 4898.

« La priorité lors d’une inspection est davantage la non-déclaration d’un ingrédient allergène dans la liste des ingrédients que la précision du tableau de valeur nutritive », observe Christina Blais, responsable de la formation clinique au département de nutrition de l’Université de Montréal.

INTERDIT D’ÉTIQUETER DE MANIÈRE FAUSSE

Apposer un tableau de valeur nutritive inexact sur un aliment est pourtant illégal. La Loi sur les aliments et drogues « interdit à quiconque d’étiqueter, d’emballer, de traiter, de préparer, de vendre ou d’annoncer un aliment de manière fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa quantité, sa composition, ses avantages ou sa sûreté ».

En réalité, l’ACIA laisse une bonne marge de manœuvre aux fabricants. « Un écart de 20 % est toléré par rapport à la valeur nutritive déclarée », confirme M. Schryburt. « Étant donné le grand nombre de facteurs qui influent sur la variabilité des valeurs nutritives dans les aliments et le coût élevé des analyses en laboratoire, on admet qu’il peut s’avérer difficile d’arriver à fournir des données précises concernant un produit en particulier », lit-on dans le document « Test de conformité de l’étiquetage nutritionnel » de l’ACIA.

L’industrie agroalimentaire est laissée à elle-même, déplore M. Cormier. « Avant, les fabricants appelaient les inspecteurs de l’Agence avant de faire leurs étiquettes, indique-t-il. On leur donnait notre avis, on leur expliquait quelles étaient les normes à respecter, etc. Maintenant, les gestionnaires de l’ACIA ne veulent plus qu’on fasse ça. Ils disent que c’est la responsabilité de l’industrie. »

« Il devrait y avoir plus de ressources attribuées à la surveillance de l’étiquetage, soutient Véronique Provencher, professeure au département des sciences des aliments et de nutrition de l’Université Laval. Ce sont des données qui doivent être crédibles. »

L’ACIA A DEMANDÉ 104 050 $ À LA PRESSE

Obtenir des statistiques de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a été tout un défi. Conformément à la Loi sur l’accès à l’information, La Presse a demandé des documents permettant de voir combien de vérifications de l’étiquetage avaient été faites depuis quatre ans – et combien d’infractions avaient été notées –, d’abord en août à Santé Canada, puis en octobre à l’ACIA.

Le 24 décembre, l’ACIA a demandé à La Presse de payer 104 050 $ pour obtenir ces documents. L’agence fédérale a estimé « qu’il [faudrait] 10 405 heures en plus des cinq heures de recherche sans frais déjà prévues dans la Loi pour rechercher les documents demandés », a indiqué Vicky Nadon, analyste à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels de l’ACIA. La Presse n’a évidemment pas déboursé cette rondelette somme.

La Presse a plutôt envoyé six nouvelles demandes à l’ACIA en février et payé 177,50 $ en mars pour obtenir une longue liste de données non compilées, en anglais. La Presse a traduit et classé ces données. 

C’est finalement le service des relations avec les médias de l’ACIA qui a fourni, gratuitement, le nombre de tests de vérification de la conformité de l’étiquetage, comme le rapporte aujourd’hui La Presse.

— Avec la collaboration de William Leclerc et Sylvain Gilbert

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