Violence conjugale et familiale

« Je ne suis pas tout seul »

Ce jour-là, David* a encore disjoncté. Il a envoyé un violent coup au visage de sa copine, du revers de la main. Il a frappé assez fort pour qu’elle « revole solide », comme il le décrit. Pour qu’elle saigne, aussi.

Il a frappé fort, mais pas assez pour qu’il se décide enfin à se prendre en mains.

Ce moment-là est arrivé quelques années plus tard, quand sa nouvelle partenaire lui a fait face, lors d’une dispute. « Elle m’a dit : "Frappe-moi, vous faites tous ça, les hommes", se souvient David. J’ai dit : "Non, non, je ne frappe pas." Et j’ai éclaté en sanglots. »

Après avoir vaincu sa dépendance à la cocaïne et à l’alcool, David a amorcé un nouveau combat, beaucoup plus difficile, selon lui. Il y a un peu plus d’un an, il est entré dans un groupe de thérapie pour les hommes auteurs de violence conjugale et familiale chez Option, à Montréal. Il s’est assis dans la pièce qui accueille, trois fois par semaine, des « groupes de suivi », composés d’environ huit hommes qui ont reconnu avoir utilisé la violence dans un contexte familial ou conjugal.

« J’avais beaucoup d’appréhensions. On m’avait dit que j’allais devoir parler de mon passé et j’avais peur d’avoir mal, raconte David à propos de sa première séance. Ça m’a pris trois ou quatre rencontres avant de parler des affaires qui faisaient mal. Quand j’ai entendu les autres, ça m’a encouragé à me dévoiler. Il y avait des trucs heavy, avec des couteaux, des armes, des coups de poing. Je me suis dit : "Ayoye, je ne suis pas tout seul…" »

SE DÉVOILER

David a fini par tout déballer, à son rythme. Ses séjours dans les centres pour femmes violentées avec sa mère et son petit frère, quand il était encore au primaire. Les fois où il cachait son cadet dans le placard pour le protéger des disputes. Ses 10 années de « party », à se battre dans les bars et à consommer de la cocaïne, de la marijuana, de l’ecstasy, de l’alcool ; à consommer « de tout », dit-il.

David a parlé des moments où il allait chercher sa mère sur la voie ferrée, quand elle avait encore une fois décidé de se suicider. Il a évoqué le dur souvenir de son passage à l’hôpital, à 7 ans, quand son père adoptif l’avait blessé à l’œil en le bottant comme on donne un coup de pied dans un ballon de soccer. « J’avais été obligé de mentir au médecin », se rappelle-t-il, encore honteux.

Lentement, Lucie Saint-Pierre et Clément Guèvremont, les thérapeutes conjugaux et familiaux qui animent le groupe, ont amorcé un travail avec David, afin qu’il prenne conscience de sa responsabilité dans les actes qu’il a commis. Car à Option, un seul homme ne monopolise jamais les 90 minutes d’une rencontre. Pas plus qu’il ne se contente de livrer des témoignages.

« Pendant qu’un autre parle, l’homme continue sa démarche. Il travaille pendant toute la rencontre. Il est à l’affût de ce que les témoignages éveillent en lui », explique Lucie Saint-Pierre.

LA THÉRAPIE COMME UNE MICROSOCIÉTÉ

Ainsi, dans une rencontre du mois de novembre, quand Pierre raconte avoir explosé de colère devant une sans-abri, Clément et Lucie invitent chacun des hommes à commenter l’événement. Quelques semaines plus tard, quand Eduardo évoque les fois où son père l’a battu à coups de ceinture, les hommes ne tardent pas à réagir. David a déjà vécu une situation semblable. Martin, lui, se met à s’agiter sur son siège. Ses mains s’ouvrent et se ferment ; ses pieds bougent comme s’ils cherchaient à nettoyer le plancher.

« Quand j’étais en maternelle et en 4e année, la strap, j’y ai goûté souvent. Souvent pour rien », lâche-t-il, nerveux. Clément doit l’arrêter, lui rappeler de parler lentement, de prendre le temps d’écouter les autres, plutôt que de leur couper la parole.

« La violence est un problème relationnel, et le groupe fait revivre une microsociété où l’on est en relation avec plusieurs personnes et où l’on doit développer notre sens de l’écoute, explique Lucie Saint-Pierre. Souvent, quand on est violent, on n’écoute pas ; on veut passer des messages. »

« Le groupe, c’est un exercice d’humilité aussi. L’homme est obligé d’écouter, d’attendre longtemps avant de parler, de se contenir, de tolérer le regard des autres sur lui. »

— Lucie Saint-Pierre, thérapeute conjugale et familiale

En d’autres termes, la thérapie de groupe permet un processus de resocialisation, comme l’appelle Clément Guèvremont. « On a à défaire les croyances des gars, qui estiment qu’ils n’ont pas le droit d’être tristes, pas le droit de s’exprimer, observe-t-il. À l’inverse, ils n’ont pas de problème pour être en colère ou être enragés. »

Surtout, la thérapie vise à responsabiliser les hommes violents. « Ils doivent s’approprier leurs gestes de violence. Sinon, ils ne pourront jamais réparer », tranche le travailleur social et responsable clinique à Option, François Lepage.

À quelques semaines de la fin de sa première année de thérapie, David semble commencer à accepter sa part de responsabilité. « Avant, quand ma blonde m’envoyait des affaires, j’explosais. Il fallait que ça se règle sur-le-champ, dit le jeune homme en frappant dans sa main. Là, j’ai appris à gérer ma colère. Ce qu’elle fait, c’est son affaire. Moi, je suis responsable de ma partie à 100 % », ajoute-t-il en se disant conscient, tout de même, qu’il lui reste beaucoup de travail à faire.

* Les noms de tous les participants ont été changés.

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