Violence conjugale et familiale

La violence en héritage

Martin* était en maternelle, et les coups de sangle venaient par rafales. Il avait 5 ans et il ne dormait plus. La nuit, il guettait les pas de son beau-père. Il avait l’habitude de briser des objets ou de manger de la crème glacée dans le noir, quand la maisonnée était endormie. « Quand il se levait, il disait : "Qui a mangé la crème glacée ? C’est encore toi, encore toi !" Et il sortait la strap… » Martin encaissait, une fois de plus, une raclée.

Quand la famille de son beau-père le visitait, elle traitait Martin de « safre ». De goinfre. Ça a duré sept ans. Et ça en a pris plus de 20 autres avant que Martin ose enfin raconter son histoire.

Il est entouré d’une dizaine d’hommes, un matin de décembre dans le local d’Option, quand il révèle cette partie de son passé. Cette journée-là, il ne porte pas son éternelle casquette, qu’il a tendance à baisser sur ses yeux. Pour la première fois, ses yeux se remplissent de larmes. Un lourd silence s’installe dans la pièce. « Je m’ennuie de ma casquette en esti », laisse tomber l’homme grand et costaud, dans l’espoir de détendre l’atmosphère.

Martin est contraint par la Cour de suivre une thérapie pour violence conjugale. Il n’est pas marginal chez Option : environ 75 % des clients s’y trouvent, comme lui, à la demande d’un juge. Comme plusieurs autres, aussi, Martin a été victime avant d’être bourreau.

« Les deux tiers des individus, victimes ou témoins de violence, ne la reproduisent pas, affirme François Lepage, responsable clinique chez Option. Quand même, un tiers de personnes qui la reproduit, c’est beaucoup. Ici, en thérapie, c’est presque 100 % des clients qui l’ont vécue. »

À preuve, l’histoire de Martin éveille des souvenirs chez plusieurs membres du groupe. « Moi j’ai vécu un peu la même affaire et je suis en crisse, encore aujourd’hui. Je suis connecté là, j’ai de la misère à redescendre, à revenir », lâche David, crispé.

Arnaud aborde le sujet d’une manière plus détachée. « Moi, quand j’étais tanné de me faire frapper, je mettais trois jeans et quatre pulls, dit-il. À cause de ça, je suis rendu super vigilant dans la vie. Je vois tout, sans même regarder, même ce qui se passe derrière ma tête. »

D'UNE GÉNÉRATION À L'AUTRE

Pour plusieurs hommes en thérapie, le fait de porter la violence en héritage s’accompagne aussi d’une lourde tâche. Celle de mettre fin au cycle de transmission intergénérationnel.

« La strap, le bâton, la claque, le coup de poing, le coup de pied, les assiettes, les verres, les souliers, j’ai tout mangé. Il n’y a pas une affaire que je n’ai pas reçue sur la tête. »

— David

Aujourd’hui, dans l’espoir d’épargner la fille de sa copine, David a élaboré une règle. « Avec ma blonde, quand la petite est là, on fait un "time out" tout de suite. Je ne veux pas transmettre ça à sa fille ou à ses enfants », tranche-t-il.

David parle de la violence qu’il a subie comme d’un « legs ». Sa mère se battait avec sa grand-mère ; son père adoptif a été « élevé à coups de bâton ».

Les thérapeutes conjugaux et familiaux Lucie Saint-Pierre et Clément Guèvremont parlent de la violence vécue par les hommes violents comme d’un « levier » pour les faire cheminer. « On aborde l’impact de la violence sur les enfants – et non sur les femmes – en premier lieu. Parce que souvent, les hommes se considèrent comme des victimes de leurs conjointes, mais pas de leurs enfants », explique M. Guèvremont.

Petit à petit, les thérapeutes évoquent la souffrance que les conjointes ont pu ressentir. « Mais au départ, c’est plus facile pour notre clientèle de se rapprocher de ce qu’un enfant vit, parce que plusieurs hommes violents sont passés par là », complète Mme Saint-Pierre.

* Les noms des participants ont été changés.

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