Réplique

LAÏCITÉ À L’ÉCOLE
Plaidoyer pour le port de symboles religieux chez les enseignantes

En réponse au texte d’André Lamoureux, « L’option de la cohérence », publié samedi dernier.

Les polémiques sur les restrictions relatives au port de symboles religieux continuent de soulever les passions ici et ailleurs.

Au Québec, les polémiques ont été propulsées au premier plan durant la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008). Les débats se sont enflammés de nouveau en 2013 avec le projet de loi 60 du gouvernement péquiste. Le débat est revenu à l’actualité avec le nouveau projet de loi promis par le gouvernement caquiste.

À mon avis, le port de symboles religieux chez les enseignantes est tout à fait justifié. Contrairement à l’opinion d’André Lamoureux exprimée dans La Presse du 12 janvier, j'estime que les symboles religieux chez les enseignants ne transforment pas de facto l’école en lieu de « prosélytisme religieux ». Il n’y a aucune littérature scientifique suggérant que les personnes portant des signes religieux ne pourront respecter leur devoir de réserve en matière de religion ou qu’elles succomberont au prosélytisme dans leurs fonctions professionnelles. Cette conjecture répandue est avant tout une perception et une appréhension qui repose sur une vision stéréotypée de la religion et du religieux.

Il est inexact de prétendre que l’appartenance religieuse se traduit nécessairement par une impulsion à faire du prosélytisme dans l’exercice de sa profession.

Mon expérience en formation des maîtres m’a appris que les enseignantes portant des vêtements religieux ont surtout tendance à adopter une posture d’hyper-vigilance par rapport à leurs croyances religieuses. Elles ont peur d’exercer une influence sur les élèves. Elles se demandent si le fait de fournir une information sur leurs pratiques religieuses ne représenterait pas une forme d’imposition, même quand les élèves leurs posent des questions directes.

La peur d'imposer

Contrairement à la vision stéréotypée évoquée par M. Lamoureux, ces personnes religieuses sont très conscientes de leur devoir de réserve et aussi très conscientes de l’importance de respecter la liberté de conscience des enfants. Ironiquement, la peur d’imposer en matière de religion a l’effet de contrecarrer des rencontres éducatives potentiellement riches et substantielles. Pour les élèves, ces rencontres peuvent apporter un contrepoids aux préjugés largement répandus.

Les abus de pouvoir en classe ne sont pas l’apanage d’une catégorie d’enseignants en particulier. Ils sont plutôt le fruit des forces asymétriques entre l’enseignant et les élèves. Dès les premières années scolaires, nombre d’élèves pensent qu’il serait souhaitable d’adopter la vision de l’enseignant pour réussir. Il est tout à fait concevable d’imaginer qu’un enseignant ne portant aucun vêtement religieux puisse compromettre son devoir de réserve, par exemple, en dénigrant le religieux ou en véhiculant une vision bien personnelle de la vie bonne.

L’école n’est jamais neutre, ni dans le propos, ni dans la tenue vestimentaire. (Les vêtements griffés sont des marqueurs de statut social.)

Tous les enseignants, religieux ou pas, doivent prendre conscience du pouvoir qu’ils exercent sur les élèves. La posture de l’enseignant face à ses élèves relève de l’éthique professionnelle, un apprentissage qui doit être au cœur de la formation des maîtres.

Certes, au Québec, il y a le précédent des religieuses catholiques qui ont volontairement remplacé leurs vêtements religieux par une tenue civile. Il est important de se rappeler que ces enseignantes faisaient partie du groupe religieux dominant. Écarter les habits et les voiles avaient pour but de faciliter la transition de l’école confessionnelle à l’école laïque. Aujourd’hui, l’école publique n’est plus confessionnelle et la plupart des employés de l’État portant des vêtements religieux sont issus de religions minoritaires, en particulier l’islam, le judaïsme et le sikhisme. Quelques enseignants portent la kippa, certaines enseignantes et éducatrices portent le hijab. Ici, l’employée de l’État fait partie d’une religion minoritaire qui est souvent l’objet de stéréotypes et de discriminations. C’est elle qui est la plus susceptible de vivre directement les conséquences néfastes d’une politique prohibitionniste à l’école. 

Contrairement à ce que prétend M. Lamoureux, ce ne sont pas les « turbans, » « les longues barbes » et des voiles inspirés par « l’intégrisme islamique » que les élèves rencontrent à l’école. À mon avis, une politique d’exclusion et d’invisibilité a tendance à marginaliser des personnes qui sont déjà vulnérables tout en contribuant à l’appauvrissement de l’espace éducatif de l’école publique.

Quelle laïcité ?

Dans son livre La laïcité falsifiée, l’historien et sociologue français Jean Baubérot observe que le discours public entourant la laïcité laisse entendre qu’il n’y a qu’une seule laïcité. Il est important de toujours se poser la question : de quel type de laïcité s’agit-il ? Quel type de laïcité souhaitons-nous pour le Québec ? Est-ce que la responsabilité de l’État est de neutraliser l’espace public pour le rendre libre de toute expression religieuse ? Est-ce que le fait de respecter la liberté de conscience des enseignants compromet nécessairement la liberté de conscience des élèves ? 

Tout comme Baubérot, je crois qu’une laïcité construite sur une base d’hostilité, de préjugés et de présomptions à l’égard des minorités religieuses est avant tout une laïcité répressive.

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