Psychologie

En quête du silence

Lors d’une discussion autour de la notion de silence, Muriel Jaouich, enseignante de méditation pleine conscience, nous entraîne dans un coin tranquille d’un bourdonnant espace de travail partagé du quartier Mile End. Au moment de cet entretien du début de novembre, Muriel Jaouich était fraîchement de retour parmi les habitants de la société du bruit, après six semaines sans parole au centre Insight Meditation Society à Barre, au Massachusetts.

Bref, elle en avait long à dire sur les bienfaits et les idées fraîches que lui a procurés une telle parenthèse dans un monde qu’une grande majorité d’entre nous prend rarement le temps de visiter : le silence absolu. « Le simple fait de s’asseoir et fermer les yeux permet de mieux comprendre ce qui se passe à l’intérieur de soi. On prend contact avec ce qui est soutenant pour soi-même », affirme cette artiste visuelle montréalaise qui enseigne chez Voie boréale, un organisme qui offre des retraites et des séances de méditation.

Prendre une pause loin de la cadence de nos vies effrénées, pour entrer en relation avec le silence intérieur et extérieur, ça amène où et vers quel état d’esprit ? « Cela réveille toutes sortes de choses. Surtout, ça nous entraîne vers la réalisation que l’expérience humaine n’est pas facile. On en arrive à s’interroger sur comment on peut s’accompagner là-dedans », explique la jeune femme, qui, dans une vie professionnelle antérieure, s’est frottée aux marathoniens du progrès techno en menant une carrière à toute vitesse dans la Silicon Valley.

Un bien précieux à protéger

Preuves de la soif de quiétude de notre société, des événements comme des partys de lecture en silence, des restaurants en silence, du « dating silencieux » (qui gagnent en popularité en Grande-Bretagne) sont autant de phénomènes aussi surprenants que contemporains.

L’accès au silence et à l’écoute de soi serait-il en voie de devenir une rareté qu’il faut protéger autant que l’eau potable et l’air que l’on respire ? C’est l’idée que défend le bioacousticien américain Gordon Hempton, fondateur et vice-président de One Square Inch of Silence, dont le siège est à Indianola, dans l’État de Washington. Depuis 35 ans, ce militant pour la protection des espaces sonores répertorie les zones de notre planète encore à l’abri des nuisances sonores humaines. 

Selon ses recherches, à peine une cinquantaine d’endroits restent intouchés par des bruits de nature humaine, comme le bruit des avions, de la production industrielle ou des autoroutes. Le silence dans son expression naturelle, que Gordon Hempton décrit comme « l’absence de quelque chose et la présence de tout », subsisterait à ce jour dans moins d’une cinquantaine d’endroits dans le monde. « Auparavant, nous pouvions parfois avoir plusieurs heures de silence consécutives. Maintenant, c’est à peine plus de 20 minutes », confiait Hempton en août dernier au journal Le Monde.

Contrepartie méditative des films d’action faits de scènes qui explosent en images et en effets sonores, le documentaire In Pursuit of Silence – qui paraît ce mois-ci en Amérique du Nord – explore aussi la question de la pollution par le bruit, dont les répercussions résonnent à l’échelle de la planète. Son réalisateur, Patrick Shen, a réuni un panel d’experts pour discuter de l’impact du bruit sur la santé humaine, qui touche notamment la santé cardiovasculaire et l’ouïe.

Le stress, l’anxiété, la dépression sont autant de conditions associées à nos quotidiens surstimulés. Joe Flanders, un psychologue montréalais qui intègre à sa pratique la méditation pleine conscience, en témoigne, lui qui travaille dans des milieux d’affaires. Lors d’ateliers dans les écoles, il enseigne aussi aux enfants la « force du silence » (strong silence). « Contrairement au silence imposé par un ordre comme “Silence !”, c’est un silence que l’on choisit parce qu’il aide à la concentration », explique le psychologue, qui dit que cette approche est aussi bénéfique pour les adultes.

« Je rencontre plusieurs personnes qui se sentent prisonnières d’un système ou d’un rôle, soit au sein de l’entreprise où ils travaillent ou dans leur famille », exprime cet homme qui médite depuis longtemps, qui a fait des études de postdoctorat en psychologie à l’Université Wisconsin-Madison, réputée pour ses études sur les moines tibétains. En ces temps d’incertitude planétaire, Joe Flanders perçoit un ton de colère dans le fond de l’air ambiant. « Les gens suivent leur propre agenda, sans se soucier de la présence des autres. Le mot d’ordre est : “Dégage de mon chemin, j’ai rendez-vous quelque part”. »

Pour Jacques Charland, coordonnateur de l’organisme Écoute/Entraide, qui offre une ligne d’écoute à l’échelle du Québec, apprivoiser le silence est aussi une façon d’alimenter une meilleure écoute d’autrui. Lors des formations données aux futurs bénévoles de cette ligne d’écoute à l’échelle du Québec, on apprend aux écoutants à ne jamais « briser le silence » lors d’une intervention avec une personne en détresse psychologique. « Pendant ce temps d’arrêt, la personne au bout du fil réfléchit et est en train d’allumer sur certaines choses. »

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