Opinion Jeter, transformer, conserver et ajouter

2018, un moment propice pour l’éducation

Nous avons demandé à cinq spécialistes ce qu’ils souhaitaient jeter, transformer, conserver et ajouter dans leur secteur d’activités pour la nouvelle année. Aujourd’hui, Égide Royer aborde le thème de l’éducation.

À l’aube de cette nouvelle année, il faut convenir qu’en éducation, des idées et des manières de faire ont fait leur temps, que d’autres ont besoin d’évoluer, que des acquis sont à consolider et qu’enfin, certaines mesures structurantes doivent faire l’objet d’engagements explicites lors de la prochaine campagne électorale.

Ce que nous pouvons laisser sans regret derrière nous

Nous avons accepté en 2017, avec encore trop de résignation, qu’au Québec, seulement 74 % des élèves possèdent un diplôme après 7 années de fréquentation de l’école secondaire. Ce taux est pourtant de 83 % aux États-Unis et de 86 % en Ontario. Nous tolérons beaucoup trop facilement l’intolérable : il est temps de devenir exigeants, pour ne pas dire intransigeants, en ce qui a trait à la réussite éducative. Encore trop de Québécois francophones, particulièrement des garçons, en viennent à croire que l’école n’est pas faite pour eux, qu’ils sont nés pour de « petites études », voire « pour un petit pain » : nombreux sont les jeunes adultes qui paient le prix fort de la sous-scolarisation.

Le moment est aussi venu de mettre fin à l’obligation d’obtenir un diagnostic pour déterminer 1) le financement des services aux élèves en difficulté ou handicapés, 2) la nature de l’aide qu’on leur offre et enfin 3) le nombre maximum d’élèves par classe. Le système actuel nous coûte près de 2,5 milliards annuellement et il est dysfonctionnel : 21 % des élèves sont actuellement identifiés comme en difficulté ou handicapés, leur nombre est en augmentation depuis 10 ans et leur taux d'obtention d'un diplôme (31 %) demeure anémique.

Les mythes en éducation sont enfin toujours aussi contagieux : on les attrape comme on prend le rhume. Quelques virus étaient toujours bien actifs en 2017. De nouveau, trop de décisions ont été prises en se basant sur des connaissances incomplètes, voire erronées, par des personnes de bonne volonté qui ne savaient pas qu’elles ne savaient pas. Leur enthousiasme relevait encore trop souvent du « il faut faire quelque chose, or ceci est quelque chose, donc faisons-le ».

Des transformations nécessaires

Notre système éducatif a impérativement besoin de devenir vraiment inclusif. Contrairement à ce que nous vivons en santé et en petite enfance, le réseau scolaire québécois est considéré comme le plus inégalitaire du Canada. Plusieurs écoles privées et publiques à projet éducatif particulier continuent à recruter les meilleurs élèves. Ce tamisage amène plusieurs écoles ordinaires à accueillir un nombre disproportionné d’élèves en retard d’apprentissage ou présentant des besoins particuliers.

Le Québec doit faire de la réussite de tous les élèves une responsabilité partagée par toutes les écoles, qu’elles soient privées, publiques à projets pédagogiques particuliers ou ordinaires.

Le financement octroyé en adaptation scolaire devrait conséquemment devenir accessible autant au réseau privé que public. Dans cet esprit, discriminer des élèves lors de l’admission, sur la base de leur handicap ou de leurs difficultés, deviendrait un motif suffisant pour remettre en cause la proportion du financement public d’une école privée ou la reconnaissance du projet pédagogique particulier d’une école publique.

Dans la même ligne de pensée, et par cohérence, il est nécessaire de repenser l’éducation aux adultes qui accueille actuellement un nombre démesuré de jeunes de 16 à 19 ans, très souvent décrocheurs ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage. Ces élèves doivent pouvoir poursuivre leurs apprentissages, comme c’est le cas ailleurs au Canada, dans une école secondaire inclusive et offrant la diversité de services éducatifs et professionnels permettant de répondre à leurs besoins.

Des acquis à valoriser et à protéger

L’éducation a trop longtemps « manqué d’amour ». La situation est en train de changer. Outre la présence d’un ministre qui a exercé un leadership largement reconnu par les milieux scolaires, la réussite éducative est une préoccupation importante des deux principaux partis de l’opposition. Un momentum favorable au changement existe.

Des progrès significatifs ont d’ailleurs déjà été réalisés en 2017. Nous n’avons pas simplement affirmé qu’il est plus facile de bâtir des enfants forts que de réparer des adultes brisés : nous avons commencé à agir. Nombreuses furent en effet les prises de position en faveur de l’intervention précoce et de l’établissement de collaborations entre les écoles, les garderies et les CPE, particulièrement en ce qui a trait aux difficultés de langage et de comportement.

Nous avons également reconnu de manière explicite l’importance de la littératie dans la réussite éducative. Des mesures spécifiques concernant l’apprentissage de la lecture, comme celles d’assurer un suivi systématique aux lecteurs débutants et d’offrir des services spécialisés pour intervenir rapidement auprès de ceux qui vivent des difficultés, font maintenant consensus.

Enfin, nous avons pris la décision de cesser d’improviser en éducation et de baser nos décisions et nos actions non plus sur des mythes, des idées reçues ou des pressions corporatistes, mais d’abord sur la recherche et les pratiques probantes. La création, en 2018, d’un Institut national d’excellence en éducation découlera de ce choix.

La prochaine campagne électorale devra être celle de l’éducation

Il est impératif qu’en 2018 l’éducation devienne l’élément le plus important de notre avenir collectif. Outre les recommandations que j’ai formulées précédemment, je considère essentiel que les trois engagements suivants fassent partie de la plateforme électorale de chacun des partis.

D’abord celui d’offrir, d’ici 2020, la maternelle 4 ans à tous nos jeunes, logés à la garderie ou à l’école, sous la responsabilité d’une équipe composée d’une éducatrice à la petite enfance et d’une enseignante du préscolaire.

Les partis politiques doivent également s’engager à modifier la Loi sur l’instruction publique de manière à ce que dès 2021 tous les jeunes Québécois soient en apprentissage jusqu’à l’âge de 18 ans ou jusqu'à l’obtention d’un des diplômes du secondaire. D’ici là, les écoles secondaires auront l’obligation de diversifier, comme l’ont fait d’autres provinces, l’offre de leurs services éducatifs conduisant à l’obtention d’un diplôme.

Toutes les formations politiques affirment déjà que la qualité de l’enseignement est une des variables fondamentales de la réussite éducative. Il leur faut maintenant aller plus loin et reconnaître explicitement que l’enseignement et l’orthopédagogie sont de véritables professions, qui ont besoin d’être encadrées par deux ordres professionnels qui en élaboreront, entre autres, les conditions d’admission, les normes d’exercice et le code de déontologie.

Comme plusieurs historiens peuvent en témoigner, rien n’est plus puissant qu’une idée dont le temps est venu. L’année 2018 est un moment propice pour l’éducation. Les hommes et les femmes politiques qui auront le courage d’appuyer les mesures que je viens de nommer pourront se targuer, c’est ma conviction profonde, d’avoir contribué à faire une différence dans la réussite éducative de plusieurs milliers de jeunes Québécois.

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