ÉDITORIAL ARIANE KROL

OPÉRATIONS CHIRURGICALES
Le supplice de la liste

Il s’appelait Michel Houle, mais normalement, vous n’auriez jamais dû entendre parler de lui. Normalement, il aurait été opéré à temps. Ça n’a vraiment pas été le cas. Alors quand l’hôpital a téléphoné, il était déjà mort, depuis plus de deux mois. C’est inhumain.

Ce qui s’est passé avec le cas de M. Houle demeure nébuleux. Ce qui ne s’est pas passé, par contre, est parfaitement clair.

En avril 2017, ce patient de 72 ans reçoit un diagnostic de sténose valvulaire aortique sévère au Centre cardiovasculaire du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM). Vu son état, on recommande une intervention par cathéter appelée TAVI, moins invasive que la chirurgie conventionnelle. Délai d’attente recommandé : deux à trois mois.

En août, soit quatre mois plus tard, son médecin de famille contacte le CHUM, mais ne réussit pas à avoir un suivi clair. À la fin octobre, M. Houle, gravement affaibli par son état, meurt, seul, chez lui. Il attendait son opération depuis plus de six mois. Et lorsque l’hôpital l’a contacté pour planifier sa chirurgie cardiaque, en janvier suivant, ça frisait les neuf mois. Trois fois les délais souhaitables.

On vous parle ici de l’attente du point de vue du patient, qui passe une coronarographie et se voit confirmer que ses symptômes (angine, essoufflement à l’effort, etc.) viennent d’un état de santé grave nécessitant une intervention. On parle de l’attente vécue, ressentie, subie.

Pour l’attente officielle, à partir du moment où M. Houle a été inscrit sur la liste, on ne sait pas. Même la coroner a dû multiplier les appels au CHUM pour retracer son cas.

Oui, il y a un enjeu financier. L’intervention TAVI coûte presque deux fois plus cher que l’opération conventionnelle (environ 44 000 $ au lieu de 23 000 $). Un « beau problème » typique de la médecine moderne : une avancée permettant d’opérer des patients qui n’auraient pas pu l’être auparavant, mais qui fait grimper les coûts pour le système. La TAVI a beau être réservée aux patients les plus fragiles, le CHUM n’avait pas les ressources pour répondre à la demande.

On a doublé la cadence et on espère l’augmenter encore, a fait savoir l’établissement cette semaine. Tant mieux, mais il y a plus. « Des fois, un patient tombe entre deux chaises, un peu comme M. Houle », a indiqué le cogestionnaire du regroupement cardiovasculaire.

Franchement, depuis le temps que les hôpitaux québécois gèrent des listes d’attente, ils devraient être des pros là-dedans. Il suffit d’écouter les patients pour constater que c’est encore loin d’être le cas partout.

On ne meurt pas forcément des listes d’attente, mais on y angoisse et on en souffre.

Si un établissement n’a pas la capacité d’opérer un patient dans les délais, il faudrait l’en informer et vérifier s’il ne peut pas être traité ailleurs. Il faudrait aussi suivre son état au cas où il deviendrait plus urgent.

Que notre système de santé n’ait pas les moyens de répondre sur-le-champ à tous les besoins qui ont été déterminés, ça se comprend. Qu’il laisse les malades dans le brouillard jusqu’à les perdre lui-même de vue, par contre, c’est inexcusable.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.