OPINION

L’indécente valse des millions

On pourrait faire une liste interminable des salaires démentiels des vedettes sportives

Il y a quelque temps, Connor McDavid, un jeune de 20 ans, a signé une prolongation de contrat de huit ans et 106 millions US avec les Oilers d’Edmonton.

Cette entente fait en sorte que McDavid touchera en moyenne 13,25 millions par saison. On ajoute que « McDavid vaut amplement cet investissement, tout comme il mérite d’être le joueur le mieux payé du circuit », précisait l’article qui nous apprenait cette « bonne » nouvelle. De son côté, Carey Price, le gardien- vedette du Canadien, a signé une prolongation de contrat qui lui rapportera en moyenne 10,5 millions par année pendant huit ans, pour un total de 84 millions.

Euh ?

Est-ce illusoire de trouver, dans ces deux nouvelles récentes, une autre illustration d’une certaine décadence de notre civilisation, d’une perte du sens des valeurs ?

On ne sait pas combien gagne Kent Nagano avec l’Orchestre symphonique de Montréal, mais on est sûrement loin des millions de ces joueurs de hockey. On sait à peu près comment sont payés les recteurs et les professeurs d’université, nos premiers ministres et les députés élus, tout comme les enseignants du primaire et du secondaire à qui des centaines de milliers de parents confient leurs enfants la majeure partie du temps entre septembre et juin. On est loin des sommets vertigineux de rémunération de nos talentueux manipulateurs de rondelles sur la glace.

Bien sûr, il ne faut pas être naïf. C’est le capitalisme sauvage et la valse des millions qui mènent les sports professionnels. Mais de là à admirer ces joueurs et surtout à applaudir leur indécente rémunération, il y a une marge. Une grande marge.

Il semble qu’on pourrait se garder une petite gêne, oser même remettre en question le niveau de ces salaires qui sont de toute évidence hors du sens commun et de toute raison.

Lorsque sont publiées les conditions de rémunération des dirigeants de grandes entreprises ou des banques, il y a toujours un escadron de protestataires pour dénoncer ces dirigeants qui « s’en mettent plein les poches ». Pourtant, ces dirigeants fondent ou dirigent des entreprises qui sont créatrices de richesse et d’emplois.

On a hurlé en apprenant que la présidente du Mouvement Desjardins voyait son salaire approcher les 4 millions par année. Mais Monique Leroux était responsable de la bonne marche et du progrès de Desjardins, à qui des millions de Québécois confient leurs épargnes et leurs économies en vue de leur retraite. Mme Leroux, tout comme son successeur, joue un rôle objectivement et collectivement pas mal plus important que celui, tout talentueux soit-il, du gardien du Canadien.

Il en va de même pour tous les autres dirigeants de banques, de sociétés de placements, d’entreprises, qu’elles soient grosses, moyennes ou petites. Que dire aussi des médecins, des policiers, des infirmières, des préposés, des travailleurs de la construction ou des ouvriers d’usine ? Non seulement ces personnes assument une responsabilité personnelle, mais elles jouent des rôles essentiels dans la bonne marche quotidienne de la société. Non, elles ne gagnent pas 8 ou 10 millions par année.

Il n’est pas question ici de rabaisser le travail des joueurs de hockey, qui, appelons un chat un chat, ne sont que des amuseurs publics. Parmi eux, certains ont plus de talent que d’autres. On ne se scandalise pas que ces derniers soient davantage payés.

Mais de là à les ensevelir sous les billets verts, il y a un pas qu’il ne faut pas franchir.

Des salaires annuels de 8 ou de 10 millions pour des joueurs de hockey, c’est tout simplement indécent, même si cela ne rejoint pas le sommet de la folie. La rémunération totale de la star du Real Madrid, Cristiano Ronaldo, a été de 87,5 millions d’euros cumulés en 2016-2017. LeBron James, au basketball, a gagné 73,2 millions de dollars US, alors que le boxeur Floyd Mayweather se « contentait » de 105 millions US. On pourrait faire une liste interminable de ces salaires démentiels.

Tout cela est une gifle monumentale pour tous, y compris pour leurs admirateurs les plus enthousiastes, même si ceux-ci ne s’en rendent pas compte. C’est une incongruité inacceptable et acceptée par l’ensemble des citoyens dans une société comme la nôtre.

En un mot comme en cent, c’est révoltant. À défaut de pouvoir faire réellement quelque chose à cet égard, laissez-nous au moins le droit de dénoncer ce scandale et de rappeler le sens des valeurs.

* Les auteurs sont des retraités habitant Québec et Montréal. Denys Larose et Jean-Noël Tremblay ont été directeurs généraux de collèges. Normand Chatigny a été maire de Cap-Rouge et Michel Héroux a travaillé en information et en communication.

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