Santé

Regain des dons de sperme « artisanaux »

Depuis la fin du programme de procréation assistée en novembre 2015, un nombre croissant de femmes lesbiennes se tournent vers les dons « artisanaux » pour procréer, constate la directrice générale de la Coalition des familles LGBT, Mona Greenbaum. Celle-ci s’inquiète particulièrement du retour en force des dons de sperme obtenus par le truchement de l’internet. « Cette situation comporte un certain danger, notamment pour la santé », dit-elle.

Il est encore possible aujourd’hui de se faire rembourser jusqu’à neuf cycles d’insémination artificielle au Québec. « Mais il faut maintenant payer le sperme. Et ça, c’est coûteux », note Mme Greenbaum. On parle de 800 $ à 1000 $ par cycle. Voulant éviter de payer ce prix, des femmes se tournent vers les dons « artisanaux », constate Mme Greenbaum.

Si la majorité parvient à trouver un donneur dans son cercle de connaissances, une minorité se tourne maintenant vers l’internet, où les offres pullulent. Sur un site de petites annonces, un homme blanc de « 5’8’’, yeux bruns, cheveux bruns, poids proportionnel » dit vouloir donner dans la région de « Granby, Waterloo, Magog, Sherbrooke ». « Pas besoin de contrat matrimonial, juste une rencontre originale à Montréal ou Laval… », indique aussi S. sur le même site.

Processus impossible à chiffrer

Dans une étude publiée en 2017, Isabel Côté, professeure à l’Université du Québec en Outaouais, et son collègue Kévin Lavoie se sont penchés sur les motivations des donneurs de sperme sur l’internet. « Il est très difficile de documenter le phénomène, car tout se passe en contexte privé, sous le radar. Combien de ces dons sont faits chaque année ? Combien d’enfants naissent de ces dons ? On ne sait pas », constate Kévin Lavoie, doctorant en sciences humaines appliquées à l’Université de Montréal.

Mais dans les ateliers qu’elle donne tous les six mois, la Coalition des familles LGBT rencontre une soixantaine de familles. « Avant, la quasi-totalité passait par les cliniques de fertilité. Maintenant, environ la moitié a recours à une insémination hors clinique. La majorité se tourne vers un donneur connu de son entourage, comme un ami », résume Mme Greenbaum.

« Mais cette possibilité n’existe pas pour tout le monde. Même s’ils sont une minorité, on voit aujourd’hui des parents qui se tournent vers les dons sur l’internet, ce qu’on ne voyait pas avant, quand le programme de procréation assistée existait. »

— Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT

À la clinique OVO, la directrice des communications, Chloé Plénet, affirme qu’aucune baisse du nombre d’inséminations n’a été enregistrée depuis 2015. Conclure qu’un nombre croissant de femmes se tournent vers les dons artisanaux de sperme est impossible. « Mais il faut noter que les traitements de fécondation in vitro (FIV), bien plus coûteux, ne sont plus remboursés », dit-elle. Certaines femmes préfèrent tenter les inséminations, moins coûteuses, avant de se lancer dans la FIV, ce qui peut expliquer en partie la popularité constante de l’insémination.

Chiffrer le nombre de grossesses issues de dons de sperme « artisanaux » est impossible au Québec. Car il n’y a aucune nécessité d’enregistrer un tel acte, contrairement aux accouchements par exemple, souligne Line Chamberland, chercheuse et professeure au département de sexologie de l’UQAM. « Cela étant dit, l’Association des familles LGBT connaît plutôt bien les pratiques et les préoccupations de ses membres, même si les données statistiques sont absentes pour confirmer son expérience terrain », note Mme Chamberland.

Risques pour la santé

Mona Greenbaum souligne que les femmes se tournant vers les dons sur l’internet s’exposent à des risques de santé. « Certains donneurs affichent leurs résultats à des tests de dépistage. Mais ces tests ont leurs limites », note-t-elle.

Chez Santé Canada, on explique que le Règlement sur le traitement et la distribution du sperme destiné à la reproduction assistée « n’exige pas qu’un donneur fasse son don dans un milieu clinique ».

« Par contre, Santé Canada a déjà mis en garde les Canadiens contre les risques potentiels pour la santé liés à l’utilisation de sperme de donneur pour la procréation assistée obtenu de sources potentiellement peu fiables, telles qu’à travers des sites web. »

— Geoffroy Legault-Thivierge, de Santé Canada

Un « Starbuck » à Montréal ?

En plus des risques de santé, aucune limite sur le nombre d’enfants que produit chaque donneur artisanal n’existe. Au cours des dernières semaines, des mères québécoises se sont questionnées sur les réseaux sociaux sur le nombre d’enfants qu’a pu avoir D., un donneur de sperme de Montréal qui offre ses services sur l’internet. Sur son site, D. disait donner son sperme gratuitement pour des raisons purement altruistes, en disant trouver gratifiant que ses gènes soient utilisés pour construire une famille. D. rapportait à ce jour près d’une vingtaine de naissances confirmées. Mais sur son site, il reconnaissait que le chiffre pourrait être plus élevé. D. a refusé les demandes d’entrevue de La Presse et a retiré son site.

Dans les faits, aucun règlement officiel n’encadre le nombre maximal d’enfants que peut avoir un donneur de sperme, qu’il donne de façon artisanale ou dans des cliniques.

Sans y être obligées, les cliniques de fertilité québécoises adoptent toutefois des règles internes à ce sujet. La clinique Ovo limite par exemple à 10 le nombre de familles que peut créer un donneur. Chez Procrea, la directrice du laboratoire, Nicky Dean, explique que la clinique suit les directives de l’American Society of Reproductive Medecine (ASRM), soit 25 enfants par donneur par 800 000 de population.

Professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal, Alain Roy souligne qu’une telle limite serait impossible à imposer avec les dons artisanaux. « Comment surveiller ? C’est impossible », dit-il.

Pour Mme Greenbaum, bien que l’existence probable de donneurs « Starbuck » puisse créer un malaise, il s’agit là du risque « le moins épeurant » des dons artisanaux sur le web. Car dans les faits, les risques de consanguinité éventuels sont faibles, dit-elle. « Le risque principal, c’est vraiment plus sur le plan de la santé, dit Mme Greenbaum, qui déplore que les frais en clinique soient une barrière à l’accès.

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