Sommes-nous tous égaux face à la santé mentale ?

Au Québec, une personne sur quatre vivra un problème de santé mentale au cours de sa vie. Personne n’est à l’abri, mais tous ne seront pas touchés de la même façon. Il est en effet prouvé que les personnes vivant dans des conditions désavantageuses au plan social et économique sont plus susceptibles de vivre des problèmes de santé mentale, d’où l’importance d’agir sur les déterminants sociaux dans une perspective de réduction des inégalités.

« Il ne fait aucun doute que les inégalités sociales et économiques sont de puissants vecteurs contribuant aux problèmes de santé mentale », affirme Claude Leblond, travailleur social et président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ). En effet, il existe une surreprésentation de problèmes de santé mentale chez certains groupes. On pense ici aux femmes, aux aînés, aux personnes ayant un faible revenu, un faible niveau de scolarité, ainsi qu’aux personnes issues de milieux défavorisés matériellement et socialement. À Montréal seulement, on constate un écart clair du nombre de personnes vivant des troubles de l’humeur et de l’anxiété entre les territoires du sud-ouest de Verdun et celui de l’ouest de l’île. « On les appelle les inégalités sociales de santé parce qu’elles se rapportent à des situations qui sont évitables et injustes », indique M. Leblond.

UN CERCLE VICIEUX À BRISER

« Au même titre que des conditions sociales défavorables contribuent à l’émergence de troubles mentaux, les problèmes de santé mentale augmentent le risque de transmission des inégalités d’une génération à l’autre », soutient M. Leblond. Par exemple, les personnes ayant des troubles mentaux ont plus de difficulté à se trouver un emploi et à le garder. Elles ont également des revenus moindres, ce qui les rend plus susceptibles de vivre dans la pauvreté. « C’est pourquoi il est important de briser ce cercle vicieux entre inégalités sociales et problèmes de santé mentale afin de réduire le risque que leurs enfants souffrent à leur tour de troubles mentaux », poursuit M. Leblond. Cela est d’autant plus vrai que, encore aujourd’hui, des préjugés bien ancrés persistent à l’endroit des personnes qui en souffrent. Trop souvent, ces préjugés freinent leur rétablissement et leur participation au sein de la société. On parle alors de stigmatisation.

AGIR SUR LES INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

« Pour diminuer les problèmes de santé mentale au Québec, il faut entre autres travailler à réduire les inégalités sociales en réduisant les inégalités de revenus et d’opportunités », assure M. Leblond. Cela passe par un accès au revenu et au logement décents, au travail, à l’éducation, au transport et aux loisirs. Cela passe également par un réseau de soutien social fort, en favorisant la mixité sociale notamment par le biais des institutions et des services publics. « En ce sens, les travailleurs sociaux s’inquiètent de plusieurs mesures législatives et budgétaires qui ciblent les politiques sociales, en particulier celles qui favorisent le développement d’un système privé en santé et services sociaux, en désengageant de plus en plus l’État de sa mission sociale », mentionne M. Leblond. Ces orientations ne font que creuser davantage le fossé des inégalités sociales et économiques. C’est pourquoi il est essentiel, et des études le prouvent, d’investir au plan social. « Notre santé ne s’en portera que mieux et notre économie aussi », ajoute M. Leblond.

L’IMPORTANCE DES PROGRAMMES SOCIAUX

« Présentement, au Royaume-Uni, des centaines de professionnels de la santé et des services sociaux dénoncent les effets pervers des mesures d’austérité, lesquelles ont un effet profondément troublant sur la santé mentale de la population », raconte M. Leblond. Celles-ci contribuent à creuser l’écart au plan économique, à augmenter les inégalités, à accroître l’exclusion, à augmenter le stress et l’anxiété auprès de personnes dans le besoin. « Chez nous, une étude de l’Institut national de santé publique du Québec démontre que des mesures qui s’attaquent aux inégalités sociales et économiques, dont la pauvreté et l’exclusion sociale, sont des moyens efficaces pour réduire considérablement la vulnérabilité des personnes et des communautés et pour diminuer les problèmes sociaux et de santé. Vus sous cet angle, les programmes sociaux deviennent des investissements plutôt que des dépenses, comme le faisait aussi valoir le Conseil national de la santé et du bien-être dans son rapport Le sens des sous publié en 2011. Cet appel des travailleurs sociaux pour l’amélioration de la santé mentale des personnes et des collectivités repose sur les fondements historiques de la profession. Le travail social s’est développé en grande partie en réaction aux inégalités sociales et économiques et à leurs impacts sur la vie, la santé et le quotidien des personnes, tant au plan individuel que collectif. Ces préoccupations rejoignent les propos du chercheur Michael Marmot, qui a alimenté les travaux de l’Organisation mondiale de la santé, et qui soutient que réduire les inégalités est une question morale, une question de justice sociale », conclut M. Leblond.

LE SAVIEZ-VOUS ?

L’OTSTCFQ regroupe plus de 12 000 travailleurs sociaux, lesquels œuvrent principalement dans le réseau de la santé et des services sociaux, mais également au sein d’organismes communautaires ou en pratique autonome. Ils interviennent souvent auprès des personnes et des communautés les plus vulnérables de la société en agissant notamment sur les déterminants sociaux de la santé.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.