migrants secourus en mer méditerranée

La dernière mission de l’Aquarius ?

L’Aquarius, qui sillonne normalement la mer Méditerranée pour venir en aide à des migrants en détresse, a-t-il mené sa dernière mission ?

La question se pose avec acuité depuis que le Panamá a annoncé il y a une semaine sa décision de révoquer l’enregistrement du navire de sauvetage, forçant son retour au port de Marseille, en France.

Médecins sans frontières et SOS Méditerranée, qui affrètent le bateau, accusent le petit pays d’avoir cédé aux pressions du gouvernement italien et de son ministre de l’Intérieur d’extrême droite Matteo Salvini.

Le politicien a refusé à plusieurs reprises que l’Aquarius accoste dans des ports italiens pour procéder au débarquement de migrants sauvés en mer et veut en finir avec ce type d’intervention sous prétexte qu’il encourage les passages illégaux.

Le ministre italien avait fait précédemment pression sur Gibraltar pour obtenir le retrait du pavillon de l’embarcation avant que le Panamá n’intervienne.

« Les dirigeants européens semblent n’avoir aucun scrupule à mettre en œuvre des tactiques de plus en plus violentes qui servent leurs propres intérêts politiques au détriment des vies humaines. »

— Karline Kleijer, responsable des urgences chez Médecins sans frontières, récemment

Une campagne de « mobilisation citoyenne » a été lancée au cours des derniers jours afin de faire pression sur les autorités européennes, mais aucun pays n’a encore manifesté son intention de doter le navire d’un nouveau pavillon.

Dans une lettre ouverte parue il y a quelques jours dans le quotidien Le Monde, un groupe d’élus et d’intellectuels ont dénoncé la situation, arguant que le fait de ne pas permettre à l’Aquarius de naviguer revient à « laisser mourir sous nos yeux les réfugiés » en mer Méditerranée.

« Que sommes-nous devenus ? Qui sommes-nous en train de devenir ? Allons-nous continuer à regarder ailleurs ? Jusqu’à quand pourrons-nous supporter l’inertie des gouvernements européens qui se réfugient derrière la montée du nationalisme pour justifier la plus indécente des couardises ? », demandent-ils.

Le groupe de signataires ajoute que les opérations de sauvetage en mer ont permis de recueillir depuis 2015 « quelques milliers de réfugiés », qui devraient en temps normal pouvoir être pris en charge sans trop de difficultés.

divergences parmi les pays européens

Les réticences des États européens étaient encore manifestes la semaine dernière après que l’Aquarius eut demandé l’autorisation de débarquer 58 migrants secourus au large de la Libye.

Après plusieurs jours de discussions, ils ont pu être transférés à Malte, d’où ils devaient ensuite être répartis entre la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal.

Le navire humanitaire n’est pas entré dans le port maltais, préférant procéder au transfert dans les eaux internationales, de crainte d’être saisi par les autorités locales.

Les difficultés rencontrées par l’Aquarius illustrent, de manière « très visible », les divergences persistantes des pays européens quant à la ligne de conduite à adopter face à la crise migratoire, souligne le directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), Frédéric Mérand.

Il apparaît évident, selon l’analyste, que la seule manière pour le continent de gérer l’afflux de migrants est de procéder à leur répartition parmi les États membres en fonction de leur taille respective.

Plusieurs pays, la Hongrie en tête, continuent d’opposer une fin de non-recevoir à cette approche malgré les pressions exercées par les autorités européennes.

Leur résistance explique en partie que l’accent ait été progressivement placé sur le renforcement du « contrôle des frontières » du continent.

De plus en plus périlleux

La Turquie et la Libye, un pays qui demeure éminemment instable, sont aujourd’hui appelées à intervenir énergiquement pour bloquer le flux de migrants avant qu’ils ne puissent fouler le continent européen.

Ce resserrement des contrôles pousse les migrants à adopter des routes de passage de plus en plus périlleuses et contribue au fait que plus de 1700 personnes sont mortes noyées depuis le début de l’année.

« Il est absurde de penser, en considérant la géographie de la Méditerranée, que le problème va se régler de cette façon. La question de la répartition va continuer de se poser », relève M. Mérand.

En chiffres

Nombre de migrants arrivés sur le sol européen par la mer Méditerranée du 1er janvier au 30 septembre

En 2018 : 82 100

En 2017 : 136 313

Nombre de personnes qui se sont noyées en tentant la traversée durant la même période

En 2018 : 1741

En 2017 : 2676

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