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À la recherche du titre idéal

Certains écrivains et leurs éditeurs se cassent la tête pendant des semaines pour trouver le meilleur titre pour un livre. Si tous sont d’accord pour dire que ces quelques mots peuvent favoriser le succès d’une publication ou tuer sa carrière en librairie, personne ne s’entend sur une recette gagnante.

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Chacun cherche son titre

Aux Éditions de ta mère, l’unicité est reine. « J’ai une grande affection pour les titres qui challengent le lecteur avec une proposition unique, drôle et intrigante, explique l’éditeur Maxime Raymond. On veut jouer avec les limites de ce qu’un titre devrait être. Je n’ai pas de liste de ce qui fonctionne ou pas. Tant que ça punche ! »

Quand on pense aux milliers de publications qui arrivent chaque année en librairie, l’originalité s’avère un réel défi. « En fiction, tu veux te démarquer », souligne Johanne Guay, vice-présidente au Groupe Librex. Autant que possible, son équipe tente de provoquer des coups de cœur.

« Un bon titre, c’est une idée qui va créer une émotion et amener le lecteur à être curieux. »

— Johanne Guay

Une idée qui doit être claire dès le départ, plutôt que de créer un mystère faussement attirant, selon Myriam Caron Belzile, directrice littéraire de XYZ, qui travaillait jusqu’à tout récemment chez Québec Amérique. « Si tu fais un assemblage de mots qui fonctionnent pour l’auteur, parce que ça fait référence à quelque chose à l’intérieur du roman, ce n’est pas nécessairement bon pour le lecteur, dit-elle. Par exemple, Soutien-gorge rose et veston noir, ça nous raconte une petite histoire en soi. On est capable de voir la séquence. Mais si ç’avait été Patte de chaise, poêle et vase de fleurs, on ne pourrait pas avoir de construction mentale avec ça. »

Choisir une phrase comme titre est un risque pour Johanne Guay. « Il ne faut pas privilégier quelque chose qui raconte toutes les thématiques à tout prix. Au bout du compte, quand on résume un long titre par un mot entre nous, on doit se questionner. Et il faut que ce soit facile à dire en entrevue radio ! »

Maxime Raymond croit pour sa part que le titre n’est pas un outil de vente, mais un objet de création. « Ça doit venir de l’auteur, pas du service de marketing. C’est un acte de création. » Il affirme ne pas avoir peur des longs titres et de ce qui pourrait sembler moins vendeur. « Par contre, les titres un peu flous, vaguement poétiques, qui ne veulent rien dire, mais qui ont du style, c’est moins ma tasse de thé. »

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Mon titre préféré

Instruments des ténèbres, de Nancy Huston

Le choix de Tristan Malavoy éditeur chez Quai no. 5

« Ce titre convoque en bataille des images venues de siècles passés, la lumière vacillante d’une chandelle et une musique sombre, née d’instruments désaccordés qui, on l’apprend à la lecture, sont aussi le corps de femmes ayant porté à la fois la vie et la mort. »

Hiroshimoi, de Véronique Grenier

Le choix d’Audrée Wilhelmy écrivaine

« J’aime les titres qui, porteurs de mystère, ont une sonorité poétique et qui, au premier abord, ne révèlent rien et pourtant disent tout une fois le livre lu. Celui-ci est d’une fulgurante efficacité ! »

La main coupée, de Blaise Cendrars

Le choix de David Goudreault écrivain

« Le titre fait référence à l’amputation de l’auteur, mais ce n’est jamais explicite, on effleure à peine l’événement. Comme un membre fantôme, le titre nous rappelle le sacrifice de Cendrars, sans y mettre l’accent. »

La traduction est une histoire d’amour, de Jacques Poulin

Le choix d’Anne-Marie Villeneuve éditrice aux Éditions Druide

« Ce titre expose une fichue de belle vision de la traduction, tout en convenant parfaitement au roman qu’il présente, un récit tout en finesse et en nuances, traversé par l’amour des mots, de la nature et l’amitié. »

Rapatriés, de Néhémy Pierre-Dahomey

Le choix de Natasha Kanapé Fontaine écrivaine et poète

« C’est l’histoire de Belliqueuse, une mère de famille qui élève ses enfants dans un quartier nommé Rapatriés, où vivent ceux qui ont tenté de fuir Haïti en bateau. Le roman s’ouvre sur cette image qui rappelle la condition des migrants. C’est un récit poignant. »

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Trois titres décryptés

Trois éditeurs nous expliquent la genèse du titre d’un roman ou d’un essai qu’ils ont publié.

Vous croyez tout savoir sur le sexe ? (Librex)

L’automne prochain, Janette Bertrand publiera un essai grand public, réalisé avec le sociologue de la sexualité Michel Dorais. Avec un titre pareil, le but est d’attiser la curiosité. « Juste le mot “sexe” rend curieux, souligne Johanne Guay. En plus, on s’adresse aux gens. On les interpelle. » Le point d’interrogation est lui aussi fondamental, puisque Janette Bertrand posera plus de

400 questions au spécialiste. « Elle va aborder une multitude de sujets pour les couples, les vieux, les personnes LGBTQ, les jeunes, etc. Janette a l’impression que les jeunes d’aujourd’hui sont dépassés par les informations et en savent aussi peu que lorsqu’elle était adolescente ! » Avec deux noms et un titre sur la page couverture, la maison d’édition a choisi de ne pas inclure d’illustration. « Pour un livre pratique, il faut surtout évoquer le contenu très clairement. »

Le langage de la meute (Québec Amérique)

Dans sa version originale anglaise, le roman d’André Alexis était intitulé Fifteen Dogs. Selon Myriam Caron-Belzile, sa traduction littérale aurait pu être un piège, en créant une rencontre sonore peu heureuse entre le « z » et le « ch » de « Quinze chiens ». L’éditrice doutait aussi de l’interprétation du mot « chien ». « En argot québécois, ça évoque des gens méchants ou des

policiers, mais pas automatiquement les animaux. » Finalement, le titre choisi fait écho à l’essence du livre. « On parle d’animalité, de cohésion sociale, du groupe et de l’animal. C’est complètement autre chose, mais ça reste fidèle à ce que l’auteur voulait. »

Juicy (Éditions de ta mère)

Sorti l’automne dernier, le roman de Mélodie Nelson devait s’intituler À quatre pattes. Pourtant, trois jours avant de mettre sous presse, tout a changé. « Mélodie est arrivée avec une photo en disant qu’elle devrait faire le lancement en portant un pantalon Juicy, et j’ai réalisé que ça ferait un titre exceptionnel, se souvient son éditeur Maxime Raymond. On a ri, on s’est demandé si on était

game et on a rushé tout le monde pour changer le titre avant que ça parte aux presses ! » L’équipe a aussi évalué les réactions possibles au titre anglophone. « C’est un enjeu ici. Mais comme l’histoire se déroule aux États-Unis, le titre s’y prêtait bien. Les gens savaient qu’on publiait un livre en français et personne ne nous l’a reproché. »

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