Ultrafond  Florent Bouguin

Le nouveau coureur des bois

Comment un papa sans histoire, ingénieur de 40 ans, est-il devenu en l’espace de quatre ans l’un des coureurs en sentiers les plus forts du Québec ? Voilà l’histoire de Florent Bouguin, qui défendra son titre demain à l’Ultra-Trail Harricana, dans Charlevoix. La Presse s’est entretenue avec ce coureur des bois des temps modernes.

À minuit ce soir, Florent Bouguin va monter dans un autobus scolaire aux environs de La Malbaie. Quelques minutes plus tard, 92 coureurs et lui seront déposés dans le petit village de Notre-Dame-des-Monts.

À deux heures du matin, dans la nuit noire, va retentir le signal du départ. Les frontales vont briller avant de disparaître dans la forêt. Devant les participants, il y aura 125 kilomètres de sentiers dans les bois de Charlevoix, jusqu’au mont Grand-Fonds. L’Ultra-Trail Harricana. Une course, une vraie. Les premiers devraient franchir l’arrivée vers 13 h demain, les genoux en compote.

Bouguin, 40 ans, va tenter de l’emporter pour la troisième année d’affilée à Harricana. L’ingénieur de Québec va aussi écrire un autre chapitre de sa surprenante carrière de coureur. Pourquoi surprenante ? Parce que lorsque Bouguin s’est mis à courir, il y a quatre ans, il n’avait jamais cru qu’il gagnerait des courses.

« À mon premier 10 km, j’ai fait une deuxième place. Ç’a été une surprise totale. »

— Florent Bouguin

Bouguin a grandi sur une petite île en plein océan Indien. Jeune, il rêvait aux grands espaces. À 18 ans, il a quitté la Réunion pour la France afin d’obtenir son diplôme d’ingénieur. Puis, il est parti pour le Québec.

« J’avais le cliché que bien des Européens ont. Le Québec, depuis que je suis tout petit, est synonyme de vie sauvage, de grands espaces, de neige, raconte Bouguin en entrevue. Je suis un gars de plein air, alors ça me semblait normal. Je me voyais partir avec mon canot aller chercher des peaux ! »

Il s’est trouvé un emploi dans la région de Québec. Il est tombé amoureux, a fondé une famille avec une Québécoise. « Et me voilà encore au Québec 15 ans plus tard ! »

Dès son arrivée, il est entré dans un club de plein air, s’est mis à la randonnée et surtout au canot. Il a défriché des voies difficiles en solo, a mené des expéditions et a même été guide de rivières.

Puis, il y a quatre ans, il visitait la Réunion en famille quand des amis lui ont parlé d’une course légendaire. « Tous mes amis me parlaient de la Diagonale des Fous. Certains voulaient la faire, explique Bouguin. Ça me paraissait monstrueux, mais, à la fois, une aventure incroyable. Alors je me suis dit qu’en 2015, pour fêter mes 40 ans, je la ferais moi aussi. »

Le hic, c’est que la Diagonale des Fous traverse l’île par 164 km de sentiers et 9917 mètres de dénivelé positif. Bouguin s’est donc fait un plan sur quatre ans : d’abord courir un marathon sur sentiers, puis être capable de faire une course de 125 km, puis une de 160.

Le but ? Être prêt pour la course du 22 octobre 2015.

« Je dois dire, même si ça peut paraître prétentieux, que je me croyais dès le début capable de terminer la Diagonale des Fous le temps venu. Par contre, jamais, jamais je ne m’étais vu sur les podiums. Chaque fois, ça me fait tout drôle. »

AUTODIDACTE

Bouguin est un athlète naturel. En 2001, avec un seul hiver d’entraînement, il a fait un temps de 2 h 55 min à son premier marathon sur route. Puis, il n’a plus couru pendant 10 ans jusqu’au jour où le projet de la Diagonale est né.

Alors, il s’est mis à s’entraîner en autodidacte, à discuter avec des coureurs d’expérience, à s’informer dans les boutiques de course à pied, à dévorer des livres pour pouvoir se concocter un plan d’entraînement.

Il court surtout près de chez lui, sur les plaines d’Abraham. Quand il cherche du dénivelé, il part au centre de ski Le Relais, monter la montagne « sept ou huit fois », été comme hiver. 

« Une petite semaine, ça ressemble à 10 heures de course. Une grosse, ça tourne autour de 20 heures. »

— Florent Bouguin

Il a grandi en tant que coureur en même temps que l’Ultra-Trail Harricana. En 2013, il a remporté la course de 65 km. Puis, l’année dernière, quand le parcours s’est allongé à 80 km, il a encore gagné.

En juin dernier, il a remporté sa victoire la plus impressionnante, le 100 milles (160 km) de Bryce Canyon, dans l’Utah. « Il y avait de très bons coureurs américains. J’ai gagné la course et j’ai mis deux heures sur le record de course », raconte Bouguin.

UNE COURSE CHARGÉE D’ÉMOTIONS

Mais la victoire qui lui est la plus chère est celle de l’an dernier à Harricana. Il la partage avec Jeff Gosselin, autre coureur de Québec et ami de Bouguin. Au début de la course, tous deux sont partis ensemble. Ils ne se sont pas séparés jusqu’à la fin.

« On est partis très fort dès le début. On a voulu tester le peloton et faire exploser tout le monde, dit-il. Kilomètre par kilomètre, ça lâchait derrière nous. On s’est vite retrouvés tout seuls. »

Mais Florent et Jeff n’y croyaient pas trop : sûrement, au fil de ces 80 km, quelqu’un réussirait à les rattraper. Mais non.

« Au dernier ravitaillement, au 65e kilomètre, les gens se demandaient : qu’est-ce qui va se passer ? Florent a l’air bien, non, c’est Jeff qui a l’air plus frais ! Qui va attaquer ? Qui va sprinter ? Les gens se faisaient plein de scénarios, raconte Bouguin. Mais jamais ça ne nous est passé par la tête. On venait de vivre ensemble une expérience tellement intense. »

« À la fin, j’étais stressé. J’avais peur qu’un coureur ne déboule et ne nous surprenne. Puis, à un moment, on s’est rendu compte qu’on allait gagner ensemble. J’en pleurais. J’étais tout ému, je n’arrivais plus à parler. »

Cette année, Gosselin ne sera pas au départ. Bouguin devra tenter seul de défendre leur titre sur un parcours allongé à 125 km. La compétition s’annonce rude.

« Si je disais que je ne venais pas à Charlevoix pour gagner la course, on ne me croirait pas, dit Bouguin. Maintenant, la compétition va être encore plus féroce cette année. Il y a de très bons coureurs qui arrivent de l’Ouest et même de France. Le plateau est relevé. Harricana prend de plus en plus de place au niveau international, et tant mieux. »

Quelques jours après la course, Bouguin va s’envoler pour la Réunion en famille. Il a pris trois mois de congé pour pouvoir vivre pleinement le projet qu’il a rêvé il y a quatre ans : faire la Diagonale des Fous pour ses 40 ans.

Mais ce qu’il ne savait pas alors, c’est qu’il ne serait pas seul sur la ligne de départ, le 22 octobre prochain. Dans les derniers kilomètres de la course Harricana l’an dernier, quand l’émotion était à son comble, il a convaincu Gosselin de le suivre. Les deux amis prendront le départ ensemble dans un mois.

Il n’avait pas prévu de gagner. Il n’avait pas prévu de se faire un ami pour la vie. Quand il s’est mis à courir, il y a quatre ans, il voulait simplement terminer une course sur l’île où il est né. Mais dans la vie comme dans une course de 160 km, on tombe parfois sur quelques surprises en cours de route.

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