Mon clin d’œil

La gestion de l’offre est moins complexe que la gestion de Trump.

ÉLECTIONS PROVINCIALES OPINION

SANTÉ
Cessez de sanctionner les travailleurs de la santé

On menace de les discipliner s’ils disent publiquement que de ne pas avoir les bons outils pour travailler, c’est mettre la population en danger

L’actualité a de quoi faire frémir. Des préposées aux bénéficiaires séquestrées par leur employeur jusqu’à ce qu’une accepte de rester, un employé forcé de rentrer au travail malgré la maladie pour que son chef prenne lui-même sa température pour s’assurer qu’il était bien malade, et d’autres histoires tout aussi sordides les unes que les autres. 

Bien que la situation varie de CIUSSS en CIUSSS, il est profondément choquant que ce genre de situation puisse même se produire. J’en entends « des vertes pis des pas mûres » presque tous les jours chez mes collègues et amis qui sont encore dans le réseau. 

Ce qu’on entend moins dans les médias, par contre, c’est à quel point on est combatifs. Nous ne sommes pas des « demoiselles en détresse », bien au contraire. Les travailleurs en santé du Québec sont immensément résilients. On tient le système de santé à bout de bras et on se bat pour la qualité des soins depuis des années. Des sit-downs, des moyens de pression, des manifs, et toutes sortes de manières de dénoncer les horreurs qu’on veut nous imposer sont aussi bien présents dans le réseau. 

Par exemple, les très créatives infirmières des urgences de l’hôpital de Gatineau ont décidé de s’unir contre le temps supplémentaire obligatoire (TSO) en exigeant un « travailler ensemble » : si l’une reste, plusieurs autres vont rester aussi en solidarité. Comme ça, l’employeur est touché au portefeuille et celles qui restent ont un peu de répit de la pénurie de personnel. Bien sûr, l’employeur les menace sans arrêt de sanctions, mais elles n’ont pas encore baissé les bras. 

En cette période électorale, il est vraiment extraordinaire de constater à quel point nos politiciens sont déconnectés de la réalité du terrain en santé ; autant du côté de ceux qui y travaillent que de ceux qui reçoivent des soins. 

Pour en revenir à Gatineau et aux nombreuses actions des professionnels de la santé là-bas qui ont pourtant clairement exprimé leurs besoins, M. Legault de la CAQ propose un nouvel hôpital… rien à voir avec ce que les acteurs du réseau là-bas réclament. 

Du côté des libéraux, malgré une quasi-unanimité de groupes professionnels, de groupes de patients et de syndicats sur l’échec désastreux de la réforme Barrette, nous avons une infirmière gestionnaire qui nous dit qu’elle partage la vision de M. Barrette d’un système « fort et solide ». 

Québec solidaire, bien qu’ils aient une vision intéressante en santé, ne proposent rien de concret à l’heure actuelle (à ma connaissance) pour voir au problème du TSO et les sanctions qui pleuvent sur les travailleurs en santé qui, malgré cela, continuent de lancer des appels à l’aide sur les réseaux sociaux. 

Finalement, du côté des trois vieux partis (la CAQ est un « nouveau vieux », disons), des absurdités (sans fondements scientifiques) comme imposer la méthode de gestion Lean ou Six Sigma dans les services sociaux et la santé semblent faire l’unanimité. On a normalisé le fait qu’il est raisonnable de consulter Toyota pour un changement fondamental en santé, mais pas des groupes de patients ou des professionnels de la santé. 

Avec toutes ces histoires et la crise actuelle du réseau, il faudrait qu’il y ait dès maintenant un moratoire sur les sanctions imposées aux travailleurs en santé qui dénoncent des conditions de soins désastreuses et le TSO en série.

Pourquoi les professionnelles de la santé sont-elles redevables de la sécurité de leurs patients alors que les institutions peuvent imposer toutes les conditions dangereuses qu’elles veulent sans conséquence ? Qui plus est, les institutions ont le droit de discipliner une infirmière (ou autre professionnel de la santé) qui exprime une opinion professionnelle sur la qualité des soins qu’il lui est possible de prodiguer. On n’exigerait jamais d’un architecte ou d’un ingénieur qu’ils se mettent à travailler avec des pailles de plastique plutôt que du béton armé pour construire un pont.

Aussi absurde que puisse sembler cet exemple, c’est ce qu’on exige des infirmières et de leurs collègues en santé depuis des années, et en plus on les menace de sanctions si elles disent publiquement que de ne pas avoir les outils convenables pour travailler, c’est mettre la population en danger. 

On nous dit sans arrêt que la santé coûte cher et qu’il faut penser à l’économie, mais peut-on aussi réfléchir au coût de cette philosophie ? Nous avons dépensé des millions pour implanter les soi-disant « miraculeuses » méthodes de gestion du secteur privé, et les résultats ne sont pas là. En cette période de campagne électorale, la santé est un enjeu central. Peut-on espérer que les candidats vont se tourner vers les principaux intéressés plutôt que vers des firmes privées de gestion ? 

Précision

Une erreur de données s’est glissée dans un tableau du texte de Pierre Cliche publié samedi dernier sous le titre « Prévisions budgétaires du Québec : le manque de sincérité ». Au bénéfice des lecteurs et lectrices, nous reproduisons à nouveau le tableau, corrigé. Nos excuses.

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