Pont Jacques-Cartier

Des millions pour ouvrir la piste cyclable en hiver

Y aménager un tapis chauffant ? La déglacer avec un mélange de jus de betterave et de sel ? Les solutions pour ouvrir la piste cyclable du pont Jacques-Cartier en hiver s’annoncent coûteuses. Et ce, alors qu’à peine 330 cyclistes risquent de l’emprunter quotidiennement. À l’issue d’un imposant projet pilote, la société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain a décidé de fermer encore cet hiver le lien cyclable en raison de problèmes de sécurité trop importants.

Projet pilote non concluant

De nombreux cyclistes espéraient que la piste traversant le pont Jacques-Cartier demeurerait ouverte cet hiver, après un vaste projet pilote mené l’an dernier. Mais après la lecture du rapport de 462 pages de la firme de génie Arup, la société gérant les deux ponts fédéraux de Montréal a décidé de continuer à fermer son accès durant la saison froide. « Le projet pilote n’a pas été assez concluant pour permettre l’exploitation sécuritaire de la piste multifonctionnelle cet hiver », explique Catherine Tremblay, des Ponts Jacques-Cartier et Champlain.

Un problème de météo

Situé en hauteur, au-dessus du fleuve Saint-Laurent, le lien cyclable est davantage exposé aux éléments qu’une piste normale. Il est ainsi plus difficile d’y prévenir l’apparition de glace au sol. Le fait que la piste soit aménagée sur une dalle de béton de 15 cm d’épaisseur plutôt que sur un remblai isolant vient accentuer l’effet du gel. La société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain dit aussi devoir trouver une solution pour prévenir les chutes de glace provenant des deux superstructures surplombant la piste et éviter les blessures aux cyclistes.

Jus de betterave

Les ingénieurs ont étudié diverses solutions pour permettre l’ouverture de la piste en hiver. La plus simple serait de la déneiger avec un appareil, ce qui pourrait coûter 180 000 $ par an. Or, des travaux seraient nécessaires puisque, lors de sa construction au début des années 2000, la piste n’a pas été conçue pour être exploitée en hiver. Les ingénieurs ont testé 11 produits de déglaçage et estiment que ceux à base de maïs ou de betteraves sont prometteurs. Malgré un faible risque de corrosion, l’étude recommande d’ajouter une membrane d’étanchéité pour protéger la dalle de béton. Il faudrait aussi ajouter un dispositif pour éviter que la neige ne tombe en bas du pont, d’un coup de pied. La facture de ces travaux est évaluée à 2,7 millions.

Système de chauffage

Des solutions moins conventionnelles ont aussi été étudiées. Ainsi, les ingénieurs ont testé l’utilisation de systèmes de chauffage. Deux modèles ont été expérimentés sur 9 m afin d’évaluer leur efficacité. Avant d’aller de l’avant avec cette solution, les ingénieurs recommandent des études supplémentaires, notamment en raison de la facture d’électricité qui risque d’être élevée pour chauffer une piste de 2,7 km de long. Ils estiment en effet qu’exploiter un tel système coûterait 575 000 $ par an. De plus, la différence de température entre le dessus de la dalle de béton et le dessous peut dépasser 13 °C, ce qui l’expose au risque de fissures. Il faudrait donc isoler le tablier de la chaleur. Implanter un tel système de chauffage pourrait coûter 14,9 millions.

Un toit pour la piste ?

Les ingénieurs ont également évalué la possibilité d’aménager un toit au-dessus de la piste. Ils proposent un toit en verre, pour des raisons esthétiques, mais aussi pour limiter les besoins en éclairage et éviter de créer une impression de confinement chez les usagers. Cette solution coûterait plus de 15 millions. Et ce, sans compter les travaux nécessaires pour renforcer la structure de la piste, qui n’a pas été prévue pour soutenir le poids d’une toiture. Pour réduire la facture, les ingénieurs ont testé l’utilisation d’un simple filet l’hiver dernier, mais cette solution s’est avérée un échec. « Lorsqu’il y avait du verglas, ça collait au filet et il y avait plus de débris qui tombaient », a expliqué une porte-parole, Nathalie Lessard. De plus, si la présence d’un toit réduisait la quantité de neige au sol, il faudrait néanmoins déneiger la piste.

Faible fréquentation attendue

Malgré la popularité croissante du vélo, les ingénieurs préviennent que la fréquentation hivernale de la piste risque d’être faible. L’étude prévoit environ 330 passages par jour. Pour arriver à ce chiffre, les auteurs se sont basés sur l’utilisation des pistes cyclables du réseau blanc de Montréal, qui correspond à 17 % de l’achalandage observé en été. Quant aux piétons, l’étude souligne qu’ils sont peu nombreux, représentant à peine 16 % des usagers du lien. Selon leurs prévisions, l’ouverture hivernale attirerait 44 personnes sur une base quotidienne.

Déception à Vélo Québec

Déçu de voir la piste de nouveau fermée cet hiver, Vélo Québec a néanmoins salué les efforts de la Société des ponts fédéraux pour trouver une solution. Sa PDG, Suzanne Lareau, convient qu’ouvrir la piste n’est pas simple. Elle invite toutefois les responsables à trouver des solutions plus simples pour prolonger la saison de vélo sur la piste. Plutôt que de la fermer à la première neige, elle suggère de la déneiger au moins jusqu’à Noël et d’avancer la réouverture en mars, dès que la neige a fondu. Surtout, la facture des solutions ne devrait pas être un frein, dit Mme Lareau. « Avec le rapport du GIEC [sur l’impact du réchauffement climatique] la semaine dernière, arrêtons de nous dire que peu de gens l’utilisent et que ça ne vaut pas les investissements. Ces investissements vont être justifiés dans le futur. »

Un « cocktail » de solutions ?

Le projet pilote ne met pas fin pour autant à l’ambition d’ouvrir la piste à longueur d’année, assure la Société des ponts fédéraux. « Cette décision n’est pas une fin en soi et nous continuerons de travailler à la recherche de solutions », assure Catherine Tremblay. Toiture par-ci, tapis chauffant par-là, un soupçon de déneigement mécanique : la société fédérale évalue si un « cocktail » de solutions pourrait être envisagé afin de permettre l’ouverture de la piste en hiver.

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