Chronique

Comme en 1984

Ceci n’est pas une chronique de numérologie. Quoique… À l’été 1984, Zinédine Zidane avait 12 ans, Patrick Vieira, 8 ans et Thierry Henry, 7 ans. La France, menée par Michel Platini, Jean Tigana et Alain Giresse, a remporté son premier Euro. À l’été 2000, Dimitri Payet avait 13 ans, Antoine Griezmann, 9 ans et Paul Pogba, 7 ans. La France de Zidane, Vieira et Henry a remporté son deuxième Euro.

Les Bleus, deux fois champions d’Europe à 16 ans d’intervalle, sont aujourd’hui de nouveau en finale de l’Euro, 16 ans après leur dernier sacre en tournoi international. Et si vous additionnez l’âge de Thierry Henry en 1984 et celui d’Antoine Griezmann en 2000…

Oui, je vous tire la pipe. N’empêche. Ce n’est pas le nombre 16 (l’équivalent de quatre Euros) qui importe, mais ce qu’il symbolise. Le passage d’une génération à une autre dans le sport. L’effet d’émulation, pour un jeune de 7, 9 ou 12 ans, créé par le triomphe de ses idoles de 23, 25 ou 28 ans dans une compétition majeure.

En France, la génération de Platini a inspiré celle de Zidane qui a inspiré celle de Pogba (trois superstars qui ont brillé avec la Juventus de Turin). Et entre ces générations dorées, des passages à vide : les Bleus ne se sont pas qualifiés pour les Coupes du monde de 1990 et de 1994 (la Bulgarie salue David Ginola) et ils n’ont pas remporté un seul match à l’Euro 2008 et au Mondial 2010, qui s’est soldé par une grève des joueurs.

Mais voilà que la France est de retour dans le gotha du soccer mondial, avec une équipe qui montrait déjà toutes ses promesses à la Coupe du monde 2014. Une sélection qui a plus que jamais l’embarras du choix parmi les stars du soccer européen, et qui peut se permettre d’écarter un joueur de la trempe de Karim Benzema pour des questions de cohésion de groupe (comme ce fut le cas, avant le sacre de 1998, avec Éric Cantona et David Ginola, joueur de l’année en Angleterre).

Les Bleus ont l’occasion de remporter un troisième tournoi chez eux, après l’Euro 1984 et le Mondial 1998. En plus de profiter de « l’avantage de la pelouse », l’histoire est aussi de leur côté.

Les Français sont invaincus en 18 matchs de tournois internationaux dans l’Hexagone et ont remporté leurs 10 derniers matchs contre le Portugal.

L’équipe de Didier Deschamps, légendaire capitaine devenu sélectionneur, a déjà marqué autant de buts (13) que celle qu’il a menée au championnat européen de 2000, à un seul but du record de l’Euro de 1984 (14). Cette année-là, la France avait défait le Portugal en demi-finale, 3-2, grâce au huitième but du tournoi de Michel Platini (en seulement quatre matchs) à la 119e minute de la prolongation. Platini avait marqué de nouveau en finale, dans un gain de 2-0 face à l’Espagne.

En 2000, la France avait aussi battu le Portugal (2-1) en demi-finale, grâce à un but en or de Zidane, sur penalty, à la 117e minute. Une génération dorée en éliminait une autre : celle de Figo, Rui Costa, Fernando Couto et autres João Pinto (entraîneur adjoint de Fernando Santos avec la Seleção cette année). Ceci n’est pas une chronique de numérologie, mais c’est une chronique qui ne craint pas les chiffres !

En 2004, Cristiano Ronaldo avait 19 ans. Il était déjà une star montante avec Manchester United et un titulaire indiscutable en sélection nationale, aux côtés de Figo, Rui Costa, Deco, Maniche, Pauleta et Ricardo Carvalho. En finale de l’Euro, chez eux à Lisbonne, les Portugais, largement favoris, s’étaient butés contre une Grèce teigneuse et forcenée, consacrée tout entière à sa défense (bien davantage que l’Islande, que Ronaldo a accusée il y a quelques semaines d’antijeu).

Ronaldo, nommé dans l’équipe du tournoi, avait pleuré toute sa déception à la fin d’un match exceptionnellement ennuyeux. Nommé trois fois meilleur joueur du monde depuis – et vainqueur à trois reprises de la Ligue des champions avec Manchester United et le Real Madrid (dont la plus récente en mai) –, il peut rêver d’un quatrième Ballon d’or, à la barbe (rousse) de son grand rival Lionel Messi, s’il mène son équipe à la victoire à Paris.

Le voilà qui tient peut-être sa revanche. Et sa chance de jouer à son tour les trouble-fête. Ronaldo a montré sa meilleure forme en demi-finale contre le pays de Galles, après une fin de saison où il a été ralenti par les blessures. Et même si le Portugal a connu un tournoi en demi-teinte, finissant troisième de son groupe, son capitaine est devenu le meilleur marqueur de l’histoire de l’Euro (ex æquo avec Platini).

Avec son ancien coéquipier de United, Nani, désormais en pointe d’attaque, Ronaldo a développé au fil des ans une grande complicité. Derrière, le jeune Renato Sanches, 18 ans et l’une des révélations du tournoi, dirige le milieu comme un vétéran. Le Portugal espère évidemment le retour au jeu de Pepe, impérial en défense depuis le début de la compétition. Bref, tous les espoirs sont permis.

Chez son adversaire, une belle entente s’est aussi installée en attaque entre Olivier Giroud et Antoine Griezmann, qui joue légèrement en retrait en électron libre – à l’instar de Cristiano Ronaldo (et qui a complètement fait oublier Benzema, son rival madrilène). Comme Griezmann, Hugo Lloris est dans la forme de sa carrière, après une grande saison à Tottenham. Dimitri Payet est comme son fils de 6 ans le prétend « le meilleur au monde pour tirer des coups francs » et Paul Pogba démontre depuis quelques matchs pourquoi on l’annonce comme le prochain « meilleur joueur du monde ».

Je le répète, ceci n’est pas une chronique de numérologie. Mais je me permettrai tout de même une prédiction : 2-0 France. Comme en 1984…

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