OPINION

ANNULATION DE KANATA ET DE SLĀV
« Je ne vois pas la race » et autres mensonges blancs

La plupart des Blancs savent instinctivement se taire sur leur blanchité. Nous n’écrivons pas souvent des pièces ou des tweets à ce sujet.

Il est beaucoup plus facile de sympathiser avec les victimes du racisme plutôt que d’admettre être les bourreaux. Au Québec, on reconnaît ce phénomène dans les spectacles Kanata et SLĀV de Robert Lepage, qui ont été annulés, mais aussi dans la tendance à se considérer des « nègres blancs d’Amérique » ou à revendiquer une hérédité « métis » même si des personnes noires ou autochtones dénoncent ces définitions.

La race est un concept à l’origine pseudo-scientifique qui est aujourd’hui discrédité. On comprend alors pourquoi Betty Bonifassi, chanteuse principale de SLĀV, a déclaré aux journalistes qu’elle « ne voit pas la race » quand la production a été critiquée pour l’appropriation culturelle.

Selon Richard Dyer, historien et théoricien du cinéma, dans les sociétés occidentales, la blanchité est normalisée au point où les Blancs se perçoivent souvent comme des êtres humains génériques tout court, n’appartenant pas à un groupe racial.

Or, cette invisibilité raciale n’est pas un simple hasard, mais relève d’une démarche stratégique qui cache un ensemble d’avantages donnés aux Blancs dans un système de rapports inégaux.

De plus, nous savons que la remise en question de la race biologique n’a pas conduit à la disparition du racisme qui est encore bien réel, son impact étant bien documenté. Ainsi, les Blancs sont moins accablés par la pollution que les autres groupes raciaux ; ils vivent plus longtemps, ont un revenu plus élevé ainsi que de plus amples occasions de s’instruire. Ils sont plus susceptibles de recevoir de meilleurs soins de santé. Les Blancs sont moins susceptibles d’être incarcérés, d’être fouillés par la police et d’être tués par un policier lors d’un contrôle routier.

Cela dit, personne ne veut être réduit à une identité raciale. Dans ce sens, la critique de l’enfermement identitaire semble parfaitement logique. Et quand Lepage compare un acteur blanc jouant un personnage noir à un homme hétérosexuel jouant un personnage gai, l’analogie est, du premier coup, convaincante.

Pourtant, le contexte n’est pas pareil.

Les hommes blancs et gais ne manquent pas dans les hauts échelons du théâtre québécois et canadien, contrairement aux personnes noires et autochtones qui, par exemple, témoignaient de la difficulté lorsqu’elles essaient de s’intégrer au milieu théâtral montréalais francophone.

De plus, il existe une longue tradition d’hommes blancs qui, fascinés par les « autres » raciaux, jouent à l’Indien et au blackface. Cette dernière pratique de la vulgaire caricature afro-américaine a peut-être commencé aux États-Unis, mais le blackface a connu du succès au Québec aussi, selon la militante communautaire Rachel Décoste.

Autrement dit, l’héritage laissé en 2018 par les personnes blanches quant à la représentation des personnes noires et autochtones est douteux, violent et paraît certainement suspect aux personnes racisées.

Les personnes blanches ne veulent pas vraiment parler de la blanchité. Après tout, il n’y a que les suprémacistes blanches qui font son éloge. Mais si notre exploration collective des injustices raciales ne vise que les personnes désavantagées par le racisme, on manque la moitié de l’histoire. Il existe également des personnes avantagées par le système racial : les Blancs et les Blanches.

Comme Toni Morrison le souligne, « l’érudition qui explore l’esprit, l’imagination et le comportement des esclaves est précieuse. Mais tout aussi précieux est un effort intellectuel sérieux pour voir ce que l’idéologie raciale fait à l’esprit, à l’imagination et à l’attitude des maîtres ».

* Corrie Scott est également l’auteure de De Groulx à Laferrière – Un parcours de la race dans la littérature québécoise

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