Société

Je vais mieux, maman

Adèle Veilleux a 17 ans. Pendant les deux dernières années, elle a souffert d’une dépression majeure. Puisqu’elle avait de sérieuses pensées suicidaires, elle a dû arrêter l’école et passer plusieurs semaines dans un hôpital psychiatrique. Elle va mieux aujourd’hui et pour marquer la fête des Mères, Adèle a écrit cette lettre à la sienne.

« Maman,

Je dis toujours qu’il n’y a pas eu d’élément déclencheur à ma dépression. Et lorsque j’y pense, j’y vois des facteurs remontant aussi loin que le primaire.

Déjà, à cette époque, je n’aimais pas mon corps. J’avais un calepin dans lequel j’écrivais toutes sortes de choses sur mon physique. Par exemple, j’écrivais constamment mon poids et la grosseur de mon tour de cuisse. Je dessinais aussi des silhouettes où je faisais mes bras moins gros et je réduisais mes bourrelets. Et pour essayer de ressembler à cet idéal, j’arrêtais souvent de manger.

Je tiens à te préciser, maman, que personne ne m’insultait à l’école en me disant que j’avais un surplus de poids. Il n’y a que moi qui me traitais de grosse.

Puisque je parle de responsabilité, je veux aussi que ce soit clair pour toi que ce ne sont pas les autres qui m’ont plongée dans une dépression majeure. Ce n’est ni toi, ni papa ou Anaïs qui m’avez donné envie de m’enlever la vie. Il n’y a que moi d’impliquée dans cette triste histoire.

As-tu bien compris ce que je viens d’écrire, maman ? Tu n’as rien fait de mal. Il faut que tu arrêtes de te demander ce que tu aurais pu, ou dû, faire autrement.

Sournoisement, un mal de vivre s’est installé en moi au retour de mon voyage humanitaire à Cuba. Alors que des adolescents à 15 ans rêvent d’embrasser une personne ou de tomber en amour, je souhaitais quant à moi être frappée par une voiture ou tomber dans un escalier.

Ça me faisait tellement mal à l’intérieur, maman. C’est pour ça que j’ai commencé à me blesser sur les bras et les jambes. En m’attaquant à mon physique, j’arrivais à donner un temps de repos à mon esprit.

C’était un peu comme ma relation amour/haine avec Instagram. Même si, au final, ça affectait mon moral de regarder constamment des photos des autres, j’étais incapable de m’en passer. Quand j’arrêtais d’y aller, j’y pensais tout le temps.

Je suivais les comptes de mannequins et de vedettes et de voir qu’ils avaient ce que je n’avais pas, ça me faisait du bien. C’est fou, hein ? Ça m’apaisait de voir que d’autres avaient ce que je souhaitais avoir. Ou ressemblaient à ce à quoi j’aurais aimé ressembler.

Ça me faisait du bien d’avoir mal.

Il y a quelques semaines, je suis allée lire les textos que j’avais écrits à Tel-Jeunes, lorsque j’étais à l’école. J’ai été surprise de voir à quel point j’avais été intense. Je disais à la personne que je ne voulais pas aller à mon examen et que je pensais prendre plein de somnifères pour ne plus jamais me réveiller.

Maintenant, je comprends pourquoi une ambulance est venue me chercher dans l’heure qui a suivi, même si j’étais fâchée sur le coup.

C’est rare qu’on voie nos parents pleurer.

Lorsque le psychiatre vous a annoncé que j’allais être placée dans un hôpital psychiatrique, tu pleurais tellement fort, maman. Ça me faisait mal, parce que c’était à cause de moi que tu pleurais, mais je ne pouvais rien faire pour que tu te sentes mieux.

Je suis désolée, maman, de t’avoir fait autant de peine.

J’ai tellement eu peur de rentrer en psychiatrie. Je m’imaginais en jaquette, dans une salle vide, surveillée à travers une fenêtre.

Je cherchais à lire des renseignements sur ce qui m’attendait, mais je ne trouvais rien. Pourquoi c’est si tabou, les problèmes en santé mentale ? Je me souviens d’avoir “googlé” “aile psychiatrique” et de n’avoir rien trouvé.

Alors, je m’attendais au pire. Et finalement, ce n’est pas si pire. Il y avait des gens compétents là-bas pour m’aider.

Et toi, tu avais beau me répéter que j’allais un jour m’en sortir, que je recommencerais à être heureuse, je ne te croyais pas. Je me disais que tu ne savais pas de quoi tu parlais, puisque nous n’avions personne dans la famille qui avait souffert de problème en santé mentale.

Ça m’a surprise de voir à quel point tu es restée près de moi, maman. Je t’ai repoussée, je t’ai repoussée et je t’ai repoussée. Même si je te disais que tu m’énervais, tu restais là. Moi, si quelqu’un m’avait autant repoussée, je ne serais pas restée là.

Aujourd’hui, je peux te le dire : ça me faisait chaud au cœur que tu sois près de moi.

Papa qui venait passer ses après-midi à l’hôpital. Grand-maman descendue de l’Abitibi pour me garder, parce que vous n’aviez pas le droit de me laisser seule. Anaïs qui ne m’a jamais fait sentir que j’étais “malade” et me divertissait avec ses histoires. Ça aussi, ça mettait de la chaleur dans mon cœur.

Si je n’avais pas eu autant de signes que j’étais importante pour vous, je ne serais peut-être plus ici.

Peu à peu, j’ai réussi à contrôler mes idées noires.

Tu avais raison, maman, de me dire que ça finirait par passer. Tu savais peut-être finalement de quoi tu parlais.

Aujourd’hui, je le sais que ça te fait de la peine que je prenne mes distances. Je sais que tu t’ennuies de me coller. Moi, ton bébé qui a toujours aimé les câlins.

Mais après avoir été surveillée pendant des mois et des mois, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, j’ai besoin de me retrouver seule.

C’est parce que je vais mieux, maman, que j’ai moins besoin que tu me colles.

C’est une bonne nouvelle.

La noirceur est derrière nous.

Ce que je souhaite maintenant ? J’espère retrouver l’amour que j’avais pour l’école. C’est sûr qu’on est loin de l’époque où j’avais de très bonnes notes et que je disais que je serais médecin. Mais si je peux juste continuer d’être heureuse, on va avoir gagné bien plus que des diplômes… hein, maman ?

Oh, et je veux te faire sourire avant de te souhaiter bonne fête des Mères. Tu sais ce que j’ai changé aussi ? Mes abonnements sur Instagram. J’ai laissé tomber les mannequins et des vedettes. Je me suis abonnée à des gens comiques. C’est beaucoup plus drôle ! Et plus sain, je suppose.

Bon, c’est le temps de te le souhaiter… Bonne fête des Mères, maman. Je t’aime. Et, surtout, merci. »

— Propos recueillis par Véronique Lauzon

BESOIN D’AIDE ?

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez communiquer avec un intervenant de Suicide Action au numéro suivant : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553) ou au 514 277-3553.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.