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CET HOMME PEUT PRÉDIRE VOS ACHATS

À travers vos trajets, vos habitudes et vos goûts, votre personnalité existe sous une forme digitale. En comprendre la logique est aujourd’hui possible. C’est ce qu’on appelle le « Big Data prédictif ». Le mathématicien français David Bessis a créé Tinyclues pour réussir ce décryptage. Désormais, son activité est indispensable aux sites de commerce en ligne.

En marketing, on catégorise depuis longtemps... Que proposez-vous de nouveau ?

Avant il y avait des classements par groupes socioprofessionnels et des produits rangés selon des thématiques. Aujourd'hui, pour un commerce en ligne qui a 20 millions de clients et 500 000 produits au catalogue, la complexité est telle que prétendre tout classer est absurde. Les données sont très hétérogènes et trop volumineuses. Elles dépassent l'intelligence humaine. Seuls des algorithmes avancés peuvent saisir les nuances et être « intelligents ». Pendant dix ans, j'ai fait de la recherche en mathématiques pures sans me soucier des applications. J'ai découvert il y a cinq ans que certains algorithmes s'appliquaient très bien à la prédiction des comportements de consommation. Et que les habitudes des gens sont assez prévisibles si l'on a les bons outils mathématiques. De fait, un algorithme est à un logiciel ce que la recette de cuisine est à un plat. J'ai créé mon entreprise Tinyclues en 2010 pour réaliser cette recette.

Peut-on prédire qui va acheter tel modèle de téléphone intelligent, par exemple ?

Il faut s'entendre sur ce que signifie « prédire ». Pour nous, c'est : « Vous vous appelez Hélène, vous avez acheté tel livre et tel vêtement, donc vous avez huit fois plus de chances que le reste de la population d'acheter ce téléphone-ci. » Il n'y a jamais de certitudes. Cela reste des probabilités. Fortes, mais des probabilités quand même.

Concrètement, comment les mathématiques et les algorithmes peuvent-ils prédire ce qu'on aime ?

Un logiciel va repérer des signaux impossibles à entrecroiser pour un humain. Par exemple, on s'aperçoit que les Brigitte n'ont généralement pas les mêmes goûts vestimentaires que les Jessica. Comment on le détermine ? On récupère des données comme l'adresse, le code postal, les pages visitées sur Internet, les produits déjà achetés, le réseau social préféré, les styles de vêtements portés, le genre de téléphone utilisé, l'adresse courriel choisie, etc. Toutes ces informations cumulées permettent d'apprendre sur « le goût de chacun » et d'établir son empreinte digitale. Les mathématiques fournissent des outils pour mesurer la « distance » entre deux prénoms, entre deux films, entre deux marques.

Est-ce vraiment efficace en termes de ventes ?

Aujourd'hui, on estime que nos clients arrivent à générer au moins 30 % de revenus supplémentaires en utilisant nos outils. Mais on pourra s'ouvrir bientôt à d'autres domaines comme la médecine, et ainsi personnaliser les traitements selon une multitude de données très diverses : vous vous appelez Sandra, vous aimez faire des grasses matinées le dimanche, vous préférez avoir chaud la nuit, et votre arrière-grand-tante était rousse… Eh bien, tel médicament marchera mieux sur vous que tel autre pour soigner telle maladie. Le Big Data prédictif n'est pas un Big Brother. C'est une chance. 

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