Entrevue avec le ministre Gaétan Barrette

Régler l’« erreur Castonguay »

En 18 mois à la tête du ministère de la Santé, Gaétan Barrette a bousculé le réseau en lui imposant des réformes majeures. Et un autre changement, le financement à l’activité, est en préparation. Selon le ministre Barrette, cette réforme, sa « plus importante », permettra de « régler l’erreur Castonguay » en fournissant pour la première fois un outil de mesure comparative aux établissements de santé. Pour avoir le temps de bien implanter ses réformes, le ministre espère d’ailleurs rester en poste pour au moins deux mandats.

Le projet de loi 10, qui a revu en entier la structure du réseau de la santé, est déployé depuis un an. Comment le changement se vit-il sur le terrain ?

Ça va très bien. Certains PDG de Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) sont même allés plus loin que je ne l’avais demandé. Par exemple, j’avais demandé l’abolition de 1300 postes de cadres. Certains sont allés en proportion plus loin que cette cible. Honnêtement, le projet de loi 10 va même mieux que je ne l’avais prévu. Je m’attendais à ce qu’il y ait plus de sable dans l’engrenage.

Le projet de loi 20, qui vise notamment à améliorer l’accès aux médecins, est en voie d’adoption. En sentez-vous déjà les effets ?

Oui. Ce projet de loi touche essentiellement la productivité médicale. Il y a une prise de conscience sur le terrain. Je rencontre des médecins et ils me disent qu’ils ont été fouettés et qu’ils prennent le virage. Le projet de loi 20 deviendra la loi 20. Il n’y a aucun doute. Une fraction du corps médical pense que je n’oserai jamais l’appliquer en 2018 : c’est une erreur.

Le réseau de la santé a subi plusieurs changements au fil des ans, comme le virage ambulatoire. À quoi se comparent vos réformes, selon vous ?

La seule chose qu’il y a eu de cette ampleur-là, c’est l’arrivée de l’assurance maladie […] Mais en termes d’organisation des soins et de gestion du réseau, rien n’a été fait de cette ampleur-là.

Quel prochain grand changement voulez-vous apporter au réseau ?

Le financement à l’activité. C’est l’étape la plus importante. Et je suis en train de la mettre sur pied. C’est immense. C’était la faiblesse [du projet] de Claude Castonguay. Avec l’assurance maladie, il n’avait prévu aucune mesure de performance et de reddition de comptes. Il a mis sur pied un système non contrôlé […] Avec le financement à l’activité, je vais fournir l’outil qu’aucun administrateur n’a eu à sa disposition depuis la naissance du réseau de la santé : les mesures comparatives. Ça, c’est l’erreur Castonguay. Les établissements vont enfin pouvoir se comparer. On va aussi déterminer des standards.

Le financement à l’activité permet de financer les hôpitaux pour les volumes de patients traités, et non pas sur une base historique. De nombreux experts estiment que construire un tel modèle est complexe. Quand allez-vous mettre ce mode de financement en application ?

Ce sera opérationnel avant la fin de notre présent mandat.

Une troisième réforme en peu de temps… C’est rapide, non ?

Une des erreurs commises dans le passé, c’est d’avoir pris son temps. Quand on prend son temps, on laisse au réseau le temps de s’inventer des manières de bloquer les changements.

Tout ça dans un contexte de restrictions budgétaires. Nous avons appris cette semaine que votre ministère devrait couper 700 millions cette année. Avez-vous déjà décidé quels services devront être retirés du panier public ?

Je prends déjà une décision avec les frais accessoires. Pour notre panier de services, on ne peut plus se le permettre. […] On arrive à la limite de ce qu’on peut faire sur le plan fiscal. Il y a des choix à faire. Les Québécois veulent-ils qu’on se rende à 55 % d’impôts ?

Êtes-vous en pourparlers avec le fédéral sur les frais accessoires ? Vont-ils bloquer votre amendement au projet de loi 20, qui autorisera certains frais accessoires, en invoquant le fait qu’il ne respecte pas la loi canadienne sur la santé ?

Le fédéral sait qu’il y a un problème. La croissance des transferts fédéraux en santé diminue. Le fédéral sait que les provinces ont des difficultés budgétaires. [Ses responsables] savent compter. Quant à la loi canadienne sur la santé, toutes les opinions juridiques que j’ai disent que notre amendement la respecte totalement.

Que trouvez-vous le plus difficile dans votre rôle de ministre ?

Le ralentissement par les oppositions pour empêcher le ministre de gouverner. En commission parlementaire sur le projet de loi 20, les oppositions font de la politique. Plutôt que d’aider à bien écrire la loi en proposant des amendements, ils y vont d’une interminable série d’éditoriaux. Il y en a eu, des améliorations au projet de loi 20 à la suite de suggestions constructives. Mais quand on fait de l’obstruction, c’est inutile et décevant.

Pourquoi êtes-vous en politique ?

Pour le système de santé. […] Si on ne fait rien, le système va mourir. Jusqu’à aujourd’hui, les forces en place ne se préoccupaient pas de la survie du système. Ils balayaient sous le tapis la réalité du budget de l’État. Maintenant, comme ministre, j’ai le pouvoir de faire survivre le système. C’est ce que je fais.

Si on vous proposait de prendre la tête d’un autre ministère, est-ce que ça vous intéresserait ?

L’effet maximal que je peux avoir, c’est à la santé. Quand je ne ferai plus l’affaire, je serai très heureux sur une banquette […] Mais pour pouvoir implanter toutes mes réformes, j’aimerais rester au moins deux mandats.

Une perte de poids qui fait jaser

Il ne se passe pas une journée sans que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, se fasse demander combien de livres il a perdues. Plus d’une centaine, disent certains. Son image a dramatiquement changé. Pourtant, le principal intéressé refuse d’aborder la question, sinon pour dire qu’il n’a pas subi de chirurgie, qu’il n’est pas malade et qu’il a simplement modifié ses habitudes de vie. « Je trouve que ce n’est pas d’intérêt public. Je ne fais pas ça, moi, de la politique people. Ce n’est pas mon style. À bien des égards, je trouve que c’est déplacé. Je ne veux pas me présenter comme meilleur que tout un chacun, dans un secteur où ce n’est pas simple pour tout un chacun. Ce serait de la vantardise de ma part. L’idée de me présenter comme un exemple et de faire la promotion de ma personne, ce n’est pas mon style. Si certains veulent me prendre en exemple, OK. Mais d’en faire la promotion, non. Et de faire une tournée pour expliquer ma recette : ce n’est pas mon rôle. Le seul message que je peux dire, c’est que ça se fait. » — Ariane Lacoursière, La Presse

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