Chronique

Ce continent émergent qu’on ignore toujours

Les dernières négociations en vue du renouvellement de l’accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique – et le psychodrame auquel elles ont donné lieu – nous ont révélé combien il était devenu urgent pour nos entreprises de diversifier leurs marchés d’exportation afin de se libérer de la tyrannie d’un seul et même partenaire commercial trop puissant et omniprésent.

Cette urgence de diversifier nos débouchés commerciaux, qui relève pourtant de l’évidence quand on sait que le seul marché américain a déjà accaparé jusqu’à 80 % des exportations québécoises, ne semble pas encore être sentie ou partagée par tous les acteurs des différents secteurs économiques québécois.

C’est notamment le cas du secteur des technologies de l’information, pourtant en constante effervescence, mais qui semble obnubilé par une seule problématique, celle de la pénurie de main-d’œuvre qui touche la grande majorité des entreprises de cette filière qui génère une haute valeur ajoutée.

La semaine dernière, Montréal accueillait pour la première fois le Salon international des technologies de l’information et de communications Africa, ou SITIC Africa, une organisation établie en Tunisie qui cherche à favoriser et à multiplier les initiatives numériques en Afrique.

À l’invitation de la firme montréalaise Consultation Contacts Monde (CCM), le SITIC Africa a décidé de transporter son salon au Québec pour y nouer des partenariats entre les firmes de TI québécoises et africaines.

On le sait, l’Afrique est un continent émergent qui étonne par sa vitalité et par la volonté qu’il affiche de mieux orchestrer son développement économique.

Selon la Banque africaine de développement, la croissance économique de l’Afrique, qui a été de 3,6 % l’an dernier, devrait atteindre 4,1 % cette année.

Si le développement n’est pas égal dans l’ensemble des 54 pays qui composent le continent et que l’on trouve encore des taux de pauvreté élevés dans une majorité d’entre eux, 18 pays africains affichent aujourd’hui un niveau de développement moyen ou élevé, selon la Banque mondiale.

Mais ce qui est le plus fascinant de l’Afrique, c’est le poids démographique qu’elle occupera dans les 30 prochaines années. La population africaine, qui totalise aujourd’hui 1,25 milliard d’individus, s’élèvera à 2,5 milliards d’individus en 2050.

Des besoins criants

Outre ses besoins urgents et prioritaires de hausser la productivité agricole et d’élargir de façon significative dans toutes les régions du continent les accès à une énergie fiable, l’Afrique doit aussi effectuer le virage numérique essentiel à la réalisation de son plein potentiel économique.

« C’est le secteur des technologies de l’information qui est le plus en demande actuellement », indique Karl Miville-de Chêne, associé chez CCM, qui a longtemps été vice-président du Conseil canadien pour l’Afrique. « Les gouvernements et les institutions de nombreux pays africains, les entreprises qui veulent accélérer leur croissance ont soif de TI et veulent réaliser des partenariats.

« Malheureusement, les firmes de TI du Québec ne s’intéressent pas au potentiel énorme qu’elles pourraient développer avec des partenaires africains.

« Nos entreprises ont les yeux rivés sur leurs clients traditionnels américains et européens et ne s’intéressent pas à l’Afrique. Ce sont les Français, les Belges et les Américains qui en profitent », déplore M. Miville-de Chêne.

Ce n’est pas parce que ce spécialiste de la chaîne de valeur du commerce extérieur n’a pas essayé de convaincre nos firmes de TI de participer à SITIC Africa.

Il a relancé à de multiples occasions toutes les associations existantes – l’Association québécoise des technologies, l’Alliance numérique, le CEFRIO, l’Information Technology Association of Canada… – pour qu’elles délèguent des participants à ce premier salon des TI Afrique-Canada, sans aucun résultat.

Pourtant, le SITIC Africa a accueilli la semaine dernière à Montréal 17 délégations d’autant de pays africains qui ont pu rencontrer des représentants d’Exportation et Développement Canada, d’Export Québec, du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation… mais peu d’entreprises du secteur des TI.

L’organisme Québec International, qui avait participé au SITIQ Africa qui se déroulait à Tunis au printemps dernier, avait recruté sur place 50 ingénieurs tunisiens en TI pour des firmes de la capitale nationale. Au dernier décompte, une quarantaine d’entre eux ont déjà immigré à Québec et sont à pied d’œuvre dans les entreprises qui les ont recrutés. Il valait donc la peine de s’intéresser au potentiel africain.

Ce n’est pas d’hier qu’on exhorte les entreprises canadiennes et québécoises à diversifier leurs débouchés commerciaux, et elles le font de plus en plus.

Si le marché américain absorbe encore aujourd’hui 75 % des exportations canadiennes, essentiellement en raison de la place toujours importante qu’occupent nos livraisons de pétrole, le Québec commence à s’affranchir de son premier partenaire commercial, qui accapare maintenant 70 % de ses ventes à l’étranger.

Oui, nos entreprises exportent davantage vers l’Europe et l’Asie et le font, mais encore timidement, vers l’Amérique latine. L’Afrique, pourtant le grand marché émergent de la planète, reste encore à peu près ignorée de nos entreprises exportatrices.

Le Canada et le Québec viennent tout juste d’appuyer la nomination d’une Africaine à la tête du secrétariat général de la Francophonie parce que l’Afrique est devenue un continent incontournable dont on doit tenir compte. Il faudrait aussi que nos entreprises en prennent note.

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