Opinion  Rémunération des médecins

L’éternel dilemme entre le volume et la qualité

Un mode de rémunération peut fort bien s’appliquer à un médecin et pas à un autre de la même spécialité

Il existe beaucoup de littérature au sujet de la rémunération des médecins à travers le monde. En résumé, disons qu’il y a trois modes classiques de rémunération, soit celui à l’acte, le salariat et la capitation.

Au Québec, on reconnaît au moins six modes de rémunération dont peuvent se prévaloir les médecins spécialistes, soit la rémunération à l’acte, le salariat, l’indemnité quotidienne (la rémunération mixte), les honoraires forfaitaires, la vacation et le tarif horaire, les quatre derniers modes étant une combinaison variable des trois modes classiques.

Il n’est pas étonnant de voir autant de modes de rémunération. S’il y avait une façon parfaite de rémunérer les médecins, il n’y aurait probablement qu’un seul mode, mais ce n’est pas le cas. Rappelons que la médecine n’est pas une science exacte et qu’elle évolue dans l’espace et le temps. Il existe aussi une hétérogénéité importante dans le contenu de l’acte médical, d’où la difficulté d’évaluer celui-ci, et ce, sans compter la dimension éthique sous-jacente. De plus, les spécialistes à travers le Québec doivent assumer une multitude de tâches dont l’enseignement, la recherche et l’administration.

Parmi les trois modes classiques de rémunération, je ne m’attarderai qu’au mode à l’acte et au salariat, la capitation étant très peu utilisée. L’idée n’est pas de savoir si la rémunération à l’acte est meilleure que le salariat, mais plutôt de voir à qui pourrait mieux s’appliquer l’un ou l’autre des deux modes.

En effet, un mode de rémunération peut s’appliquer fort bien à un individu d’une spécialité donnée et pas du tout à un autre individu de la même spécialité.

Il faut tenir compte de plusieurs facteurs pouvant influencer ce choix. À titre comparatif, je pense qu’il sera facile pour vous de concevoir qu’un chirurgien travaillant dans un centre universitaire d’une région urbaine n’a pas le même type de pratique que celui qui travaille en région éloignée, et ce, même si leur formation et leurs compétences sont les mêmes. Vous pouvez aussi facilement imaginer que si le lieu de pratique peut avoir une influence, le type de spécialité aussi peut influencer ce choix.

À mon avis, tous ces types de rémunération sont bons. Il faut savoir l’appliquer au bon moment, au bon endroit et au bon individu. La rémunération à l’acte présente certains avantages, dont une grande liberté d’action, une bonne continuité de soins et une excellente productivité. Par contre, il est vrai qu’elle engendre une multitude de prix à cause de l’hétérogénéité des actes, comme mentionné ci-haut, et la possibilité de demandes induites et de moindre qualité. Le salariat, de son côté, présente possiblement une plus grande neutralité à l’égard du jugement médical, mais n’incite guère à la performance et peut induire une démotivation de la part des médecins.

Il s’agit d’un éternel dilemme entre le volume et la qualité. Je pense qu’il est dangereux de tenir pour acquis que la durée d’un acte est le seul indicateur de la qualité. Malheureusement, ce biais est souvent utilisé lors d’analyse de la problématique. Il y a autant de façon d’aborder un problème médical qu’il y a de patients.

À la fin des années 1990, la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec avaient convenu d’un type de rémunération volontaire qui, à la base, voulait aborder une bonne partie de la problématique soulevée ci-haut. Cette rémunération dite mixte n’a cependant pas réussi à faire son bout de chemin et à être adoptée par la majorité. Je ne crois pas qu’il faille abandonner l’idée de travailler pour mettre en œuvre un mode de rémunération qui pourra intégrer à la fois l’acte et une forme de salariat. Sur ce point, nous devrions nous inspirer de certaines expériences européennes.

Je crois sincèrement qu’une forme de rémunération quelconque basée sur l’acte doit demeurer pour les avantages qu’elle comporte. D’autre part, une forme mixte de rémunération basée sur le salariat devrait être étudiée à nouveau et faire l’objet d’évaluations et de modifications régulières pour pouvoir s’adapter aux changements de la société.

* Les propos de l’auteur présentent le point de vue personnel d’un médecin spécialiste et n’engagent que lui.

Opinion  Rémunération des médecins

Pour une refonte globale du système

La rémunération à l’acte semble l’antithèse de la prise en charge globale de la complexité des patients

Il faut incontestablement repenser la rémunération des médecins tant au niveau du mode que du montant. La rémunération à l’acte, la plus commune, est archaïque et vient de l’époque où le médecin était payé par le patient à la visite.

L’impression que le paiement est pour un « acte » précis et ne couvre rien d’autre a des effets insidieux, comme par exemple ne pas régler de problèmes au téléphone, imposer des frais accessoires, moins déléguer, etc. Les médecins qui travaillent en clinique reçoivent un supplément par acte pour payer le matériel, les employés, les frais de bureau. Que ces frais de bureaux soient liés au nombre d’actes est un peu farfelu – c’est l’infrastructure qui coûte cher dans une clinique ; voir plus de patients ne génère généralement pas beaucoup plus de frais. Que ces frais soient payés par le médecin est aussi à reconsidérer.

La rémunération à l’acte semble l’antithèse de la prise en charge globale de la complexité des patients (ce qui n’empêche pas de nombreux médecins de très bien le faire). Elle s’insère dans le paradigme où la productivité est définie par le nombre de patients vus et non par la pertinence ou la qualité des soins. Au contraire, le médecin payé à l’acte gagne si le patient revient pour un autre problème et perd au change s’il voit un patient avec de nombreux problèmes de santé (pire, de santé mentale) plus difficiles à prendre en charge de façon « productive ». La rémunération à l’acte a un autre grand désavantage : elle ne favorise en rien le travail interprofessionnel, le décourageant, même, diront certains, en ne permettant pas au médecin d’être compensé pour les actes délégués.

Il faut repenser le système et se demander à quoi sert la rémunération des médecins. Au Québec, on utilise depuis plusieurs années la rémunération pour changer la pratique. On voulait plus de médecins travaillant à l’hôpital ? On ampute leur rémunération s’ils n’y vont pas. On a promis à chaque Québécois un médecin de famille ? On donne des primes à l’inscription de patients, sans égard pour le suivi. On veut qu’ils suivent plus de patients vulnérables ? Encore des primes. La rémunération devient bien plus qu’un moyen de rétribuer le travail du médecin, elle devient une mesure de contrôle du comportement professionnel, avec plus ou moins de résultats probants. Pourtant, il existe d’autres façons de diriger la pratique, en donnant le soutien nécessaire et en faisant appel à l’éthique professionnelle et le besoin de bien servir la population et la société.

On peut se demander si la médecine entrepreneuriale aurait évolué comme elle le fait maintenant sans la rémunération à l’acte.

Verrions-nous tant de mégacliniques, de frais accessoires, de recherche de profit ? Un médecin payé à salaire ou à la capitation pourrait difficilement se constituer en société et bénéficier des mesures fiscales de l’incorporation.

Quels autres modes à envisager ? Plusieurs parlent de salariat en première ligne, mais les gouvernements successifs ont découragé ce type de rémunération (disponibles que pour ceux qui travaillent dans les établissements publics) en promouvant fortement le passage vers la rémunération « mixte » (taux horaire plus bas avec un pourcentage des actes effectués). Une autre avenue à explorer, la capitation, gagne en popularité dans plusieurs systèmes en première ligne. Le médecin y est payé par population de patients inscrits à son nom, qu’il a la charge de garder en santé en étant accessible.

Une chose est certaine, il faut bien réfléchir avant d’agir. S’il nous semble clair que la rémunération à l’acte n’est pas idéale pour la grande majorité des pratiques médicales, il faut écouter les experts sur ce qui serait le mieux. Le type de rémunération à privilégier n’est pas une question d’opinion. Il faut cesser de modifier le régime actuel et plutôt penser à une refonte globale. C’est nécessaire pour donner aux patients les soins et l’accès auxquels ils ont besoin et qu’ils méritent, et conserver notre système public.

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