Référendum en Catalogne

L’Union européenne plongée dans l’inconnu

Avec le référendum qui a donné 90 % d’appuis aux indépendantistes catalans, dimanche, l’Union européenne (UE) vient d’entrer dans un territoire inexploré.

Il y a bien eu le Groenland, qui a quitté en 1982 ce qui s’appelait alors la Communauté économique européenne (CEE), après avoir obtenu un statut d’entité autonome au sein du Royaume du Danemark.

Mais les liens entre Nuuk et Copenhague avaient été dénoués de manière consensuelle. Et c’est le Groenland lui-même qui a ensuite choisi, de son plein gré, de quitter la CEE.

À l’exception de ce précédent, bien différent du cas de figure posé par la Catalogne, aucun des pays membres de l’UE n’avait jamais, jusqu’à maintenant, fait face à la perspective d’une fracture nationale.

Et l’Union européenne n’a prévu aucun mécanisme formel pour répondre à une telle situation.

Le traité de l’Union européenne prévoit bien les modalités de divorce avec un État membre – c’est le fameux article 50 qui a été activé après le référendum sur le Brexit. Mais rien ne balise les suites à donner à l’avènement d’un nouveau pays, né de l’éclatement d’un État membre.

La « doctrine Prodi »

Une Catalogne indépendante pourrait-elle aspirer à devenir le 29e pays membre de l’Union ? « Aucune chance », tranche Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

D’abord, parce qu’il est improbable que la communauté internationale reconnaisse la Catalogne à l’issue d’un référendum chaotique, où 60 % des électeurs n’ont pas pu ou n’ont pas voulu voter, note le chercheur.

Et puis, sans avoir inscrit ce principe dans une loi, l’UE adhère à la « doctrine Prodi », établie en 2004 par l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi. Selon cette doctrine, un pays né d’une sécession au sein de l’UE ne peut pas compter sur le maintien automatique de son statut de membre. « Un État qui fait sécession sera en fait automatiquement éjecté de l’Union », affirme carrément Laurie Beaudonnet, spécialiste de la politique européenne au CERIUM.

Or, signale-t-elle, la Catalogne est une région très pro-européenne. « Les Catalans ne se voient pas sortir de l’Union. »

Peuvent-ils espérer y être réadmis, une fois que le divorce avec Madrid aurait été consommé ?

C’est improbable, car pour adhérer à l’UE, il faut l’unanimité des États membres, rappelle Frédéric Mérand. Et les chances que l’Espagne vote en faveur de l’adhésion d’une Catalogne indépendante sont inexistantes.

Conséquence incontournable, selon lui : en accédant à l’indépendance, les Catalans perdraient du coup leur passeport européen.

« La citoyenneté européenne s’appuie sur la citoyenneté des États membres. »

— Frédéric Mérand, directeur du CERIUM

Le quasi-silence européen

Ce dernier ne s’étonne pas du silence européen qui a suivi les brutalités policières de dimanche.

« L’Union européenne est génétiquement programmée pour ne pas se mêler des affaires relevant de l’ordre public et de la politique intérieure des États membres », résume-t-il.

Oui, l’Union peut réagir lorsqu’un de ses membres ne respecte pas l’État de droit. Comme le font par exemple la Pologne et la Hongrie, lorsqu’elles s’attaquent à leurs institutions démocratiques, comme les tribunaux. Dans le cas de l’Espagne, la situation est différente.

Avec son intervention policière, « l’Espagne essayait d’appliquer la décision de sa Cour constitutionnelle ». Du point de vue de Madrid, il s’agissait de défendre la Constitution… donc l’État de droit.

Et puis, même si les policiers espagnols ont frappé à coups de matraques et de balles de caoutchouc des électeurs pacifiques qui les accueillaient les bras levés, l’UE n’a pas de « poignées juridiques » pour sévir contre un État souverain dans une telle situation. Si jamais il s’avérait que l’action policière de dimanche ou celles qui suivront éventuellement dans les jours ou semaines qui viennent enfreignent des droits fondamentaux, l’affaire relèverait de la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme. Pas de celle de Bruxelles. Ni des États membres qui sont tous jaloux de leur propre souveraineté dans leurs pays respectifs. Et dont les propres corps policiers ne font pas toujours dans la dentelle…

À moins d’une vague de violence policière à grande échelle, on ne peut pas s’attendre à de grandes dénonciations européennes, croit Frédéric Mérand. En attendant, l’UE peut toujours appeler au calme et à la discussion.

C’est précisément ce qu’a fini par faire, hier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en soulignant que « la violence ne peut jamais être un instrument en politique ». En appelant Madrid et Barcelone à dialoguer. Et en déclarant, du même coup, que le référendum de dimanche était illégal.

Et maintenant ?

Adoptée sans débat le 7 septembre dernier par le Parlement catalan, la loi référendaire prévoit une proclamation de l’indépendance 48 heures après une victoire référendaire du Oui. Cette proclamation serait suivie par un « processus constituant » aboutissant à un projet de Constitution qui serait soumis à une assemblée constituante, formée après des élections.

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