Corée du Nord

Une guerre de mots

Depuis des jours, les nouvelles au sujet de la Corée du Nord ont de quoi donner le frisson. Mais avant que vous ne songiez à vous construire un abri antinucléaire, nous avons demandé à cinq experts de se prononcer sur la question. Ils sont unanimes : au-delà de la rhétorique, un conflit nucléaire n’est pas pour demain.

Pour Alexandre Debs, professeur agrégé au département de science politique de l’Université Yale, la peur qu’inspirent un conflit nucléaire et ses conséquences dévastatrices en freine considérablement les risques :

« Beaucoup croient que l’arme nucléaire a permis à la guerre froide de rester froide, alors que les États-Unis et l’Union soviétique craignaient la destruction mutuelle. Sans comparer la Corée du Nord et l’Union soviétique, on s’attend à ce que les conséquences d’un conflit en limitent les risques. En cas de guerre, les États-Unis l’emporteraient, mais avec un coût énorme en ce qui concerne les pertes de vies humaines. »

Quelle menace nucléaire ?

Selon des experts du renseignement américain, la Corée du Nord aurait réussi à miniaturiser ses ogives nucléaires afin de les arrimer à ses missiles balistiques intercontinentaux. Mais ces missiles ne sont pas à la veille de tomber sur l’Amérique, assure Benoît Hardy-Chartrand, chercheur au Centre de l’innovation dans la gouvernance internationale à Waterloo.

« Je ne crois pas que Chicago, New York ou Montréal soient menacés à court terme. À moins que le régime de Kim Jong-un ne soit complètement acculé au mur et au bord de l’effondrement, il est très peu probable qu’il emploie son arsenal, puisque cela mènerait à une réplique dévastatrice. »

— Benoît Hardy-Chartrand, chercheur au Centre de l’innovation dans la gouvernance internationale

Sur le plan technologique, la Corée du Nord n’est d’ailleurs tout simplement pas en mesure de lancer une telle attaque, ou du moins pas encore, estime M. Hardy-Chartrand :

« Même si la Corée du Nord était capable de miniaturiser une ogive, il reste encore des obstacles de taille à surmonter, compte tenu de la pression énorme à laquelle est soumise l’ogive lors du retour dans l’atmosphère en cas de lancement. »

Il faut dire qu’au sujet des capacités nucléaires de Pyongyang, les experts ne s’entendent pas, souligne Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM :

« Ces capacités semblent augmenter, mais le régime nord-coréen est extraordinairement hermétique. Personne ne sait ce qui se passe vraiment dans ce pays. Il est très difficile d’avoir une idée exacte des moyens réels dont dispose la Corée du Nord. »

Une rhétorique contre-productive

Une chose fait cependant consensus : les menaces proférées par le président américain Donald Trump sont contre-productives.

« Ce n’est pas crédible. C’est de la fanfaronnade, et tout le monde le sait. C’est aussi contre-productif parce que ça pousse les ennemis à faire des gestes audacieux pour mettre le président Trump au défi. Et ça ébranle la confiance des alliés de cette région, pour qui le pouvoir de dissuasion américain est le pilier de leur sécurité nationale. »

— Daniel A. Pinkston, professeur en relations internationales de l’Université Troy, en Corée du Sud

Alexandre Debs craint que le ton employé par Trump ne pousse Kim Jong-un à croire que son régime est en péril :

« Ces menaces sont inhabituelles. Il est possible que ce soit une tactique du président Trump pour obtenir un meilleur accord avec la Corée du Nord. Mais ça crée plus d’instabilité et ça pourrait accélérer les risques d’escalade avec son opposant. »

Une diversion ?

Pour Jean-François Bélanger, chercheur au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale de l’Université McGill, le président Trump cherche peut-être à détourner l’attention des Américains de ses problèmes de politique intérieure :

« Ce qui est dangereux avec Trump, c’est que c’est un président faible aux yeux de l’opinion publique. On a déjà vu des guerres déclenchées pour rallier la population à un leader. L’idée est de créer un conflit à l’extérieur pour faire oublier les problèmes à la maison. On sait que les présidents américains ont toujours un regain de popularité durant des conflits. »

Rafael Jacob croit toutefois qu’un conflit en Corée du Nord serait loin d’être politiquement rentable pour Trump :

« Les répercussions sont tellement considérables, pas juste pour les États-Unis mais pour toute la région. Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait une guerre. Pas même les Nord-Coréens. S’il y a des acteurs le moindrement rationnels au sein de ce régime, ils savent que s’ils frappent le territoire américain de Guam, dans le Pacifique, c’est leur pays entier qui risque d’être anéanti. »

La survie à tout prix

De fait, le régime nord-coréen est très rationnel, bien que l’image qu’il projette puisse souvent laisser croire le contraire, estime Jean-François Bélanger.

« Les Nord-Coréens jouent sur le fait que le régime est vu comme irrationnel. Cela fait peur. Ces menaces, ce n’est pas parce que Kim Jong-un est fou — cela a toujours été la diplomatie du régime, qui cherche à obtenir des concessions à l’étranger, mais aussi à montrer à la population nord-coréenne qu’il est fort. C’est très stratégique. »

— Jean-François Bélanger, chercheur au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale de l’Université McGill

Selon Daniel A. Pinkston, non seulement le régime de Pyongyang est rationnel, mais il est obsédé par sa propre survie :

« Une attaque non provoquée contre Guam n’est pas crédible parce qu’elle serait suicidaire. Elle provoquerait ce que le régime tente d’éviter à tout prix. […] Sans changement révolutionnaire, la Corée du Nord ne renoncera jamais à ses armes nucléaires, qui lui procurent beaucoup plus que de la sécurité. Ces armes font partie de l’identité nationale. »

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