Analyse

Des pavés et des larmes

Apéro de la finale de la Coupe du monde de soccer, l’étape des pavés du Tour de France a produit les feux d’artifice attendus, avec la résurrection de John Degenkolb, mais pas les grands dégâts redoutés chez les prétendants au général, mis à part le malheureux Richie Porte, encore K.-O. au neuvième acte.

Ça a commencé par les larmes de Richie Porte, touché à l’épaule et hors course quelques kilomètres après le coup de départ, bien longtemps avant le premier des 15 secteurs pavés de ce mini-Paris-Roubaix.

Pour la deuxième année de suite, l’Australien de la BMC, vainqueur du Tour de Suisse et l’un des principaux prétendants à la victoire finale à Paris, a dû dire adieu au Tour de France à la neuvième étape, hier.

Trois heures, 150 kilomètres et des nuages de poussière plus tard, John Degenkolb pleurait lui aussi. Mais pour d’autres raisons. Couronné à Roubaix après un sprint royal avec le maillot jaune Greg Van Avermaet et Yves Lampaert, l’Allemand de Trek revenait de très loin.

Deux ans et demi plus tôt, il a subi un accident horrible lors d’un entraînement présaison en Espagne avec ses coéquipiers de l’époque chez Giant. Une dame âgée roulant en sens inverse avait frappé le groupe de plein fouet avec son auto.

Coupé gravement à plusieurs endroits, Degenkolb avait failli perdre un doigt. De retour à la compétition quatre mois plus tard, l’ancien vainqueur de Paris-Roubaix et Milan-San Remo a mis du temps à retrouver son niveau d’antan.

Son émotion au micro du Tour de France se passait de mots. « Du pur bonheur », a lâché l’athlète de 29 ans en regardant son index gauche.

Peinant à retenir ses larmes, il a dédié sa première victoire d’étape au Tour à un ami proche mort dans un accident l’hiver dernier. « Après cet accident, tout le monde disait que j’étais fini, que je ne reviendrais jamais. J’ai dit non, je ne suis pas fini. Je dois remporter au moins une grande victoire pour ce gars. Son nom est Jorg, et il était comme mon deuxième père. C’était un accident horrible, c’est une perte immense. [Cette victoire sur les pavés], ça ne peut pas être plus dramatique, plus beau, plus fantastique. »

Romain Bardet est l’autre gagnant du jour. Victime de trois crevaisons et obligé de changer deux fois de vélo, le grimpeur d’AG2R La Mondiale aurait pu tout perdre. Aidé de ses coéquipiers, il s’est battu comme un chien sur des dizaines de kilomètres pour rentrer avec un retard marginal de sept secondes. Chapeau aux Frank, Dillier, Vuillermoz, Gallopin et au puissant Belge Oliver Naesen. Bardet s’est même permis une attaque à 12 km de l’arrivée, avant de crever une troisième fois.

Chris Froome en a profité pour se lancer lui aussi, au grand dam des partisans de Bardet… qui avaient peut-être oublié l’attaque du Français après une crevaison de Geraint Thomas, coéquipier de Froome, au dernier Critérium du Dauphiné. « Je ne suis pas rancunier, mais je n’oublie pas », avait dit le Gallois.

Malgré une culbute de Froome dans le gazon et les chutes plus conséquentes d’Egan Bernal et Michal Kwiatkowski, les Sky ont su éviter tous les dangers et mener leurs deux leaders à bon port sans perte de temps. Après neuf jours de course, les Britanniques sont idéalement placés avant d’aborder la montagne.

Classement général des favoris

2. Geraint Thomas (Sky)

4. Bob Jungels (Quick-Step) + 7 s

5. Alejandro Valverde (Movistar) + 48 s

6. Rafal Majka (Bora) + 49 s

7. Jakob Fuglsang (Astana) + 50 s

8. Chris Froome (Sky) + 59 s

9. Adam Yates (Michelton) + 59 s

10. Mikel Landa (Movistar) + 59 s

12. Vincenzo Nibali (Bahrein) + 1 min 5 s

13. Primoz Roglic (LottoNL) + 1 min 14 s

14. Baude Mollema (Trek) + 1 min 15 s

15. Tom Dumoulin (Sunweb) + 1 min 20 s

16. Steven Kruijswick (LottoNL) + 1 min 23 s

17. Romain Bardet (AG2R) + 1 min 49 s

21. Nairo Quintana (Movistar) 2 min 7 s

22. Rigoberto Uran (EF Education First) + 2 min 10 s

Movistar a eu chaud quand Mikel Landa, l’un de ses trois prétendants au général, a violemment touché le bitume après avoir voulu s’abreuver. Sa tête a cogné dur. S’il avait été un hockeyeur de la LNH, il aurait eu à se soumettre au protocole pour les commotions (ou pas, en séries éliminatoires). L’Espagnol s’est relevé pour rallier l’arrivée en même temps que Bardet.

Les surprises ? Primoz Roglic, Warren Barguil, Rafal Majka, Nairo Quintana et même Domenico Pozzovivo qui ont fini dans le premier groupe.

À part BMC, qui a raté la victoire d’étape avec Van Avermaet et vu son leader de remplacement Tejay Van Garderen s’effondrer (grosse chute, cinq minutes de retard), le grand perdant est Rigoberto Uran. Dauphin de Froome l’an dernier, le Colombien a l’habitude de passer entre les gouttes. Cette fois, il a littéralement mordu la poussière ; il est tombé et a cédé près d’une minute et demie à ses adversaires.

« On ne sait pas vraiment comment nos rivaux sont forts, on ne sait pas vraiment comment nous sommes forts, parce qu’on n’a pas grimpé une seule montagne », a prévenu Uran dans un communiqué de son équipe EF Education First.

Après le premier jour de repos aujourd’hui à Annecy, le peloton entrera dans les Alpes dès demain avec un premier col hors catégorie, les Glières… qui compte un chemin de terre de deux kilomètres. Comme un rappel de l’enfer de Roubaix.

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