BUDGET MORNEAU OPINION

Comme une impression de fuite en avant

Il est difficile de voir dans ce budget des actions concrètes et immédiates

L’environnement géopolitique et économique mondial est incertain. Le budget 2017 le reconnaît. Mais il semble faire le pari optimiste que le pays doit garder le cap sur ses défis à long terme. C’est donc business as usual. Malgré le Brexit. Malgré Trump.

En filigrane, deux visions de l’avenir s’opposent. D’une part, une vision pessimiste où dominent l’incertitude politique en Europe, un ralentissement potentiel en Chine, la faiblesse des prix du pétrole et, peut-être surtout, les risques associés aux errances des politiques économiques et commerciales des États-Unis.

Dans ce contexte incertain, l’économie canadienne aurait de nouveau ralenti depuis l’énoncé économique de l’automne. Pour 2017, on révise la croissance économique à la baisse, de 2,1 % dans l’énoncé à 1,9 % dans le budget. Ce n’est pas beaucoup mieux que la croissance de l’an dernier, qui s’établirait finalement à 1,3 %.

Mais cette vision pessimiste coexiste, paradoxalement, avec une vision optimiste : « la croissance aux États-Unis pourrait être plus forte que prévu », lit-on dans les documents budgétaires. Cette vision optimiste continue à retenir l’attention des prévisionnistes : par rapport à l’énoncé de novembre, on révise à la hausse la croissance prévue pour 2018 de 1,8 % à 2,0 %. L’économie américaine serait stimulée par la politique budgétaire fortement expansionniste promise par le président Trump, marquée par d’importantes baisses d’impôt et des investissements majeurs dans les infrastructures.

Trancher la poire en deux

Le ministre Morneau tranche en quelque sorte la poire en deux. Son ajustement pour tenir compte du risque à la baisse associé aux prévisions économiques n’est que de 3 milliards pour 2017-2018 et les quatre années suivantes, la moitié moins que l’ajustement de l’an dernier.

Au-delà des prévisions économiques, il se dégage de l’ensemble du document une certaine impression de flottement, d’attentisme.

Comment ce budget prépare-t-il le Canada pour le monde incertain qui se dessine, particulièrement depuis quelques mois ?

À court terme du moins, il ne le fait pas vraiment, alors que l’on aurait pu s’attendre à un message fort destiné à rassurer les Canadiens dans ce contexte.

L’incidence budgétaire nette (le « total des mesures stratégiques et des investissements » dans le jargon fédéral) de ce budget pour l’année 2017-2018 est de - 0,1 milliard, témoignant d’un budget pratiquement neutre. C’est 1,2 milliard pour l’année financière qui se termine. On réalloue plus qu’on ajoute, en quelque sorte. Il n’y a donc pas de nouveau stimulus budgétaire.

Il est difficile de voir dans ce budget des actions concrètes et immédiates. Sur les infrastructures, on s’en tient à court terme à ce qui avait été annoncé à l’automne, avec somme toute peu de détails additionnels. Le gouvernement confirme par ailleurs que la mise en œuvre du budget de 2016 est plus lente pour les mesures en infrastructures (état d’avancement entre 50 % et 75 %). On en saura plus sur la Banque de l’infrastructure du Canada lorsque la loi sera déposée. Un constat similaire se dégage en fiscalité, l’autre grand pan anticipé de la stratégie économique de la présidence Trump. Idem pour la Défense nationale, où l’on rappelle l’intervention du Canada en Lettonie dans le cadre de l’OTAN.

Dans le tourbillon des événements géopolitiques qui se bousculent, le gouvernement choisit plutôt de garder le cap sur ses grands messages quant aux grands facteurs structurels qui appuient la croissance économique à long terme : compétences, innovation, etc. Avec raison, le gouvernement constate la nécessité pour les citoyens et les entreprises canadiennes de s’adapter à une économie en mutation, que certains n’hésitent pas à qualifier de quatrième révolution industrielle.

Son Plan pour l’innovation et les compétences est bienvenu, même si beaucoup reste à préciser.

Certes, le monde change, mais il est aussi plus incertain. Il y a à la fois des occasions et des menaces pour l’économie canadienne. Par exemple, le gouvernement confirme que l’essentiel des dispositions de l’AECG, nouvel accord de libre-échange avec l’Union européenne, entreront en vigueur d’ici le milieu de 2017. Le Canada se retrouve donc dans une position avantageuse inédite grâce à ses accords de libre-échange tant avec l’Europe que les États-Unis. Mais le libre-échange n’est pas qu’occasion. Il expose nos entreprises à une concurrence accrue à laquelle il faudra réagir. Si elles se concrétisent, les baisses d’impôt aux États-Unis auront aussi pour effet d’intensifier l’environnement concurrentiel des firmes.

Si ce portrait en demi-teintes traduit de la prudence, on ne peut que féliciter le ministre Morneau.

Sa marge de manœuvre est faible : le déficit atteindra plus de 25 milliards cette année et l’an prochain, la croissance économique étant tout juste suffisante pour éviter que le ratio dette-PIB ne reparte à la hausse. Le retour à l’équilibre budgétaire, qui n’est pas prévu sur l’horizon de projection (2020-2021), sera tributaire de l’accélération de la croissance économique.

Dans ce contexte de marge de manœuvre étroite, il peut être judicieux de privilégier une optimisation des ressources actuelles à de nouvelles dépenses. Il faut donc saluer, par exemple, une volonté de simplifier et de clarifier les politiques fédérales de soutien à l’innovation. Bref, il faut déterminer et renforcer ce qui fonctionne, et mettre un terme à ce qui ne fonctionne pas.

Mais si ce premier budget canadien de l’ère Trump signale une panne d’inspiration en termes de réponses nécessaires aux nouveaux défis de l’environnement économique et politique mondial, il y a lieu de s’inquiéter. Malheureusement, les documents budgétaires déposés hier ne réussissent pas à dissiper une certaine impression de fuite en avant.

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