Opinion : Inondations

Va-t-on toucher le fonds (vert) ?

Les inondations au Québec nous rappellent notre sensibilité face aux aléas du climat. Après l’érosion extrême des côtes gaspésiennes cet hiver, des milliers d’habitations et de nombreuses infrastructures sont maintenant lourdement endommagées plus près des grands centres.

Dans notre contexte de changements climatiques, nous savons que les événements extrêmes, déjà moins rares que par le passé, seront encore plus fréquents dans les années à venir. Cela devrait donc orienter nos décisions de deux manières : d’une part, chercher à reconstruire en plus solide, mais surtout et avant, nous questionner en profondeur sur notre aménagement du territoire. Ce n’est pas en effet en construisant toujours plus loin sur des terres agricoles, riveraines ou forestières que l’on va bâtir un Québec prêt pour les décennies à venir. Un Québec plus résilient, mais aussi un Québec ayant réussi sa transition énergétique, n’utilisant à peu près plus d’énergies fossiles.

Notre étalement urbain actuel, tout comme l’étalement rural (qui consiste à ne pas privilégier des noyaux d’habitations regroupées, mais à les laisser s’éparpiller loin des petits et gros centres), demande plus d’infrastructures et conduit à davantage de transport.

Le béton, l’asphalte, l’acier et le ciment de ces infrastructures sont des matériaux dont la production est énergivore.

Les véhicules nécessaires pour assurer notre mobilité sont aussi une grande source de consommation énergétique.

Ces catastrophes naturelles devraient être un signal d’alarme pour réorienter nos pratiques, et non pas une invitation à ajouter une « deuxième salle de bains, un bureau, une salle familiale », comme le programme d’aide financière bonifié pour les sinistrés le propose. Il est possible d’être généreux avec les sinistrés, mais la société ne leur rendra vraiment service que s’ils ne se trouvent plus dans une zone à risque d’inondation élevé (ayant une « cote de crue de récurrence de 20 ans », c’est-à-dire ayant une inondation tous les 20 ans, en moyenne).

Le milliard qui dort

L’aberration de l’aide financière actuelle, c’est qu’elle va mieux ancrer les inondés dans les zones inondables. L’argent ne manque pourtant pas. D’une part, on a rapidement trouvé des centaines de millions pour les programmes d’aide, mais d’autre part, il y a 1,1 milliard qui dort dans un compte du gouvernement qui devrait servir, notamment, à « aider la société à s’adapter aux impacts des changements climatiques ». Ce milliard est le surplus du Fonds vert, devant sonner la charge contre les changements climatiques.

Même si les inondations actuelles ne sont pas directement reliées aux changements climatiques, comme le rappelle l’excellent site questions-réponses de l’organisme Ouranos, elles sont indissociables d’événements climatiques extrêmes dont la fréquence ne ralentira pas, surtout si nous ne changeons pas nos façons de faire.

Investir dans un meilleur aménagement du territoire serait de loin l’aide la plus efficace pour se protéger contre les inondations des décennies à venir, et la plus structurante pour à la fois réduire les émissions de gaz à effet de serre et amorcer notre transition énergétique. Oui, cela impliquerait de libérer des zones rendues artificiellement habitables, et d’investir dans des quartiers non inondables, déjà bâtis, mais pouvant être densifiés. Peut-être paradoxalement, cette densification aurait le potentiel d’améliorer la qualité de vie.

La proximité rendrait la vie plus simple, les transports en commun plus accessibles, et les besoins en infrastructures plus petits.

Évidemment, un tel investissement demande un plan. Une vision d’ensemble du territoire sur lequel nous vivons, qui serait bien plus qu’un ensemble de circonscriptions allant aux urnes tous les quatre ans. Ce plan ne se trouve nulle part : ni dans le plan d’action sur les changements climatiques ni dans les orientations gouvernementales en matière d’aménagement du territoire, dont le principal document date de 1994.

Beaucoup d’eau a coulé depuis. Il est plus que temps de se donner un cap.

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