Personnalité de la semaine

L’imam Hassan Guillet

Après l’attentat de Québec, l’imam Hassan Guillet a livré un sermon remarqué partout sur la planète. Il est notre personnalité de la semaine.

SAINT-RÉMI — Hassan Guillet est imam. Il est aussi agriculteur, ingénieur et avocat à la retraite et étudiant. Il parle mandarin, termine une maîtrise en études islamiques, se dirige vers un doctorat.

Il passe sa vie à étudier, le nez dans les livres, donc peu seront surpris de savoir qu’il a épousé une bibliothécaire de Notre-Dame-de-Grâce, Nathalie Groulx. Et les deux ont longtemps soupçonné la bibliothécaire en chef de l’établissement montréalais où ils se sont rencontrés d’avoir tout fait pour qu’ils se côtoient. « Elle l’a nié jusqu’à sa mort », dit-il en riant. 

Guillet et Groulx ont eu quatre enfants, dont un, Jamal, qui est mort en 2009. Il avait 15 ans. « Né le jour de l’arrivée au pouvoir de Jean Chrétien, en 1993. » Il s’est éteint dans son sommeil. La veille, son père, en voyage en Chine, lui avait parlé au téléphone. Des petits détails de la vie. Il voulait un cadeau. Se demandait si son père réussissait à se faire comprendre des Chinois.

Et puis, et puis, son cœur lui a fait faux bond. Un drame qui marque.

Est-ce que cette douleur était encore là, dans son cœur, quand notre personnalité de la semaine a parlé avec un tel désir de paix aux funérailles de trois des victimes de la tuerie de la mosquée de Québec ? Le fameux discours vu et salué partout sur la planète ? Celui où il a dit que le tueur faisait aussi partie des victimes, détruit par la haine ?

« On est le résultat de toutes nos expériences. Ça nous forme et ça nous déforme… Ce discours, ça fait 60 ans que je l’écrivais dans ma tête. »

— Hassan Guillet

Après la diffusion de ce sermon, livré en anglais, Hassan Guillet a reçu des coups de fil de partout. Autant de cousins lointains en Suisse dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis longtemps que des partis politiques. La reconnaissance qui lui a fait le plus plaisir ? Celle de J.K. Rowling, qui, sur Twitter, a diffusé son message et qualifié ses mots d’extraordinaires et humains. Oui, Hassan Guillet a tout lu. Même Harry Potter.

Du Liban à Saint-Rémi

L’imam est arrivé du Liban en 1974 et vit maintenant à Saint-Rémi, sur le bord d’un rang. Il s’est établi là il y a plusieurs années avec sa famille, car sa femme venait de trouver un emploi dans la région. Lui travaillait sur la Rive-Sud, à Longueuil, comme ingénieur chez Pratt & Whitney. Ils se sont enracinés dans ce village où Pierre Elliott Trudeau est enterré. Aujourd’hui, il est imam de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Nathalie Groulx était catholique quand elle s’est mariée avec Hassan Guillet. Et Guillet ne lui a rien demandé. Chez les musulmans, on peut faire des mariages interreligieux. La seule condition ? « L’autre personne doit croire en Dieu. » Après des années, les enfants étaient déjà grands, Nathalie a décidé de se convertir. « Quand elle nous l’a annoncé, elle pensait que c’était une grande nouvelle. On l’a regardée et on lui a dit : “On le savait déjà, voyons. Tu es déjà musulmane depuis longtemps, il y a juste toi qui ne le savais pas.” » Mme Groulx ne porte pas le voile dans sa vie civile. « Je ne me mêle de rien, c’est son choix », dit Guillet, 64 ans.

« On peut pratiquer la religion plus ou moins. »

Que pense-t-il du voile intégral ? « Moi, je suis contre la coercition. On ne doit pas forcer à porter le voile ou à l’enlever. »

Hassan Guillet lit beaucoup et il a lu aussi l’histoire du Québec. Sur les années de la Grande Noirceur et la Révolution tranquille. Et il exhorte tout le monde qui cherche à comprendre le Québec d’aujourd’hui à se plonger dans ces années cruciales pour mieux saisir la réaction des Québécois issus de ces réalités face à la religion. Il y a eu un rejet des institutions catholiques qui a mené au rejet des croyances organisées en général. « L’Église opprimante, on n’en voulait plus. »

Il comprend le traumatisme face aux excès de pouvoir liés à la religion. Il comprend la crainte de la perte des acquis de la société moderne, même si elle découle, selon lui, d’une méconnaissance de la contribution de l’islam à la culture actuelle, notamment son ouverture face à la science. (Les chiffres qu’on utilise sont d’origine arabe, rappelle-t-il.)

Mais il demande acceptation et ouverture pour ceux qui ne voient pas sa religion ainsi. « On est là pour vivre ensemble et on a beaucoup plus de points en commun que de choses qui nous séparent. »

La chose qui est la plus importante, dit-il, « c’est de respecter l’autre ».

Ennemi commun

La conversation continue dans la cuisine de Saint-Rémi, autour d’une tasse de thé au miel et à la cardamome. On parle de terrorisme, bien sûr. De la tragique presse que font à l’islam les fous qui se prennent pour des soldats de Dieu. Sur cela, il tient à dire deux choses : que le terrorisme et la violence n’ont pas de religion. Québec en est la preuve. Mais aussi tout ce qui se passe aux États-Unis dans les écoles ou ailleurs. Même la Norvège a eu son fou meurtrier.

Les assassins n’ont pas de code culturel commun. L’autre chose, c’est que les groupes terroristes qui invoquent l’islam – et qui devront en répondre devant Dieu, dit l’imam – ont tué beaucoup plus de musulmans que de non-musulmans. « Il faut donc s’aider contre cet ennemi commun. »

À propos d’Hassan Guillet

Un de ses films préférés : La gloire de mon père

Un de ses livres préférés : À part le Coran et les livres liés à la foi musulmane, Le Petit Prince de Saint-Exupéry.

Une de ses citations préférées : Cette maxime du prophète Mahomet : « Personne n’atteindra la vraie foi s’il n’aime pas pour autrui ce qu’il aime pour lui-même. »

Un personnage historique qu’il admire : À part le prophète Mahomet et ses compagnons : Abraham Lincoln.

Un personnage contemporain : Nelson Mandela.

Si vous aviez à manifester, ce serait pour quoi et vous écririez quoi sur la pancarte : « Ce serait contre la discrimination et sur la pancarte, j’écrirais : “Justice pour tous”. »

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