CHRONIQUE JOURNÉE SANS MAQUILLAGE

La journée
sans uniformité

Voilà trois jours que je ne porte pas de maquillage, première expérience consciente et volontaire de la sorte – par opposition à la dernière fois où je suis allée en camping ou encore à mille occasions durant mes congés de maternité – et j’en suis venue à cette conclusion : dans le fond, tant que j’ai mes talons hauts, je survis.

Je l’ai toujours su, mais c’est maintenant évident : je peux tout à fait survivre sans
cache-cernes, rouge à lèvres, blush bronzant ou mascara, les quatre produits que je traîne dans ma trousse à maquillage, généralement pour être appliqués au volant à un feu rouge ou dans le parking avant de monter au bureau.

Mais ne m’obligez pas à ne pas tricher sur ma grandeur. Dans ma lorgnette à moi, vaut toujours mieux être plus grande, d’où mes investissements délirants dans la plateforme à gogo et le talon aiguille vertigineux. À chacune ses obsessions.

Il y a celles qui ont absolument besoin de cacher certaines imperfections avec du maquillage, il y a celles qui ne sortent pas du lit sans leur soutien-gorge pigeonnant, il y a les inconditionnelles du collant anti-bedon et les autres qui jamais ne seront vues en sandales, même par 45 degrés, tellement elles détestent leurs grands pieds ou la forme de leurs orteils ou les deux. Il y a les maniaques de cheveux qui angoissent dès qu’apparaît le moindre nuage porteur d’humidité. Il y a toutes celles qui dépensent leur héritage en liposuccion, convaincues de devenir quelqu’un d’autre grâce aux centimètres perdus, que personne ne remarque vraiment.

Ce n’est pas d’une journée sans maquillage qu’on a réellement besoin, c’est d’une journée sans obsession. Sans raison d’être obsédée. L’utilisation du maquillage n’est qu’une fraction de l’expression de nos névroses au sujet de notre apparence.

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J’aime cette journée sans maquillage pour l’exercice qu’elle propose aux photographes. Chaque année, on en profite pour montrer dans les magazines des femmes au visage nu et c’est toujours intéressant parce que les images ouvrent la porte à une réalité remplie de taches de rousseur, de rides, de contrastes différents de ceux qu’on voit toute l’année durant.

Doit-on en conclure qu’il faut condamner le maquillage, s’en débarrasser à tout jamais ? Ou n’est-ce pas plutôt l’absence de diversité, d’originalité dans les façons de photographier les femmes qui devient totalement lassante, totalement bête, à force de toujours suivre les mêmes critères de beauté maquillée ? N’est-ce pas l’absence de regard critique, de créativité qui nous ennuie ? N’est-ce pas l’uniformité et l’imposition de standards qui doivent d’abord et avant tout être remises en question ?

Ce n’est pas d’une journée sans maquillage qu’on a réellement besoin, c’est d’une journée sans normes anormales, sans lignes préécrites.

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Plus les années passent et moins je m’énerve contre les absolus. Si vous me dites maquillage, je pense à la magnifique animatrice Geneviève Borne, le crâne rasé à la suite de traitements de chimiothérapie, à Tout le monde en parle il y a quelques années. Les yeux ultrafardés, spectaculaires. Le maquillage permettait à une beauté circonstanciellement atypique de s’exprimer.

Si vous me dites poids, je pense à l’adorable filiforme Cara Delevingne autant qu’à la voluptueuse Nigella Lawson.

Si vous me dites Botox, je pense à toutes celles dont on ne voit même pas qu’elles y ont eu recours et dont on ne retient que le sourire.

Que ce soit les hauts talons existant depuis toujours ou les micro-lifting de notre millénaire, ces outils, ces caractéristiques s’inscrivent dans des dynamiques dont les femmes sont à la fois les victimes et les actrices. Mes talons ou mon mascara m’aident-ils ou me nuisent-ils ? Suis-je moins féministe car je porte du rouge à lèvres ? La réponse n’est pas tranchée. Et pour avoir abordé le sujet récemment avec l’auteure Léa Clermont-Dion autant qu’avec la députée Manon Massé, je peux vous dire qu’on est toutes d’accord : vive la pluralité…

Le problème n’est pas le véhicule dont on pense qu’il mènera à la beauté, mais le rôle de la beauté dans un système social où les femmes depuis toujours, mais aujourd’hui de plus en plus d’hommes, sont soumises à des modèles uniques.

Ce n’est pas d’une journée sans maquillage qu’on a besoin, c’est d’un siècle, d’un millénaire de diversité et de liberté.

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