Entrevue

Rêver d’un mini-Seagram

Claridge a plusieurs projets à venir. Entrevue avec Stephen Bronfman, président du conseil d’administration.

Quelle est la stratégie de Claridge, votre société familiale d’investissement ?

Nous travaillons à partir de trois piliers. Il y a le portefeuille boursier, les fonds de placements privés (« private equity funds ») et les investissements directs dans des entreprises. Moi, je m’intéresse beaucoup aux transactions privées dans les entreprises. Ce côté entrepreneur fait partie de la famille Bronfman. Nous achetons des entreprises, les faisons grandir et les vendons. Mais rien ne nous empêche d’acheter quelque chose de bien, de l’agrandir et de l’agrandir encore, sans la vendre. Ça se peut qu’on en fasse un mini-Seagram. On ne sait pas. Ça pourrait devenir une entreprise familiale. Et peut-être qu’un jour, nos enfants, à Claudine et moi (trois filles et un garçon, de 5 à 11 ans), seront intéressés à poursuivre. On verra. On a une structure, mais il n’y a pas de plafond. C’est ouvert. C’est le grand ciel. Et c’est le fun de rêver.

Qu’est-ce que l’arrivée de Pierre Boivin comme PDG, il y a cinq ans, a changé ?

Avant l’arrivée de Pierre, je gérais Claridge. Et c’est le plus grand deal que j’ai fait comme CEO ! Pour l’amener avec nous, nous avons négocié de 8 à 10 mois. Il a beaucoup d’expérience dans la vie, dans le monde des affaires et dans la communauté. C’est rare de tout trouver dans la même personne. En plus, nous partageons les mêmes valeurs : le travail bien fait, l’importance de la famille et l’art de redonner aux autres. Du côté des affaires, Pierre a amené des structures à Claridge. Aujourd’hui, du côté des investissements directs, nous avons des plateformes en immobilier, en technologies, en alimentation, en divertissement et en énergies renouvelables. Et nous sommes en bonne position pour saisir des occasions.

Quels sont justement les secteurs prometteurs et, peut-être même, celui dans lequel vous pourriez développer un mini-Seagram ?

Du côté du divertissement, on est très positif pour Solotech. C’est un fournisseur de services en technologies audiovisuelles pour les spectacles et pour les entreprises. On est troisième en Amérique du Nord. C’est un secteur naturel pour Pierre et moi. Il a géré un amphithéâtre (à titre de PDG du Canadien), et j’ai investi pendant 17 ans dans des tournées mondiales (Rolling Stones, U2, Madonna, etc.). Cette année, il y aura aussi des investissements dans le secteur des technologies. Par ailleurs, sur nos sept entreprises en alimentation, il en reste une (Plats du chef). Elle sera possiblement vendue au deuxième trimestre. Ensuite, nous allons regarder notre positionnement dans ce secteur que l’on connaît bien. On pourrait se spécialiser dans des créneaux, comme l’alimentation de demain (bio, naturel, santé). Ensuite, on veut faire grandir le secteur des énergies renouvelables. Il y a du potentiel du côté d’Eagle Creek, une société qui fait des projets de microcentrales hydroélectriques.

Quel type de gestionnaire êtes-vous ?

Je suis plus fort dans la pensée macro. Je ne fais pas de micro-gestion. Chacun a ses responsabilités. Et on se rencontre chaque semaine pour faire le point sur les dossiers. J’ai grandi dans le sport. J’ai appris que tout le monde amène quelque chose à l’équipe. On est une trentaine de personnes avec des formations différentes. Il y a des avocats, des ingénieurs, des MBA, etc. Et les âges varient de la trentaine à la soixantaine. Tout le monde est adepte de forme physique, de santé et de travail d’équipe. Ce ne sont pas seulement des gens d’affaires qui travaillent ensemble. Ce sont des citoyens impliqués dans la communauté.

Pourquoi être impliqué autant pour Montréal, le Québec et le Canada ?

C’est dans l’ADN de la famille. Mon grand-père Samuel (fondateur de Seagram) et mon père Charles se sont beaucoup impliqués dans la communauté. Je crois beaucoup à l’avenir de Montréal, du Québec et du Canada. Je suis très fier d’où je viens. Je suis chanceux de pouvoir m’impliquer à la fois dans le monde des affaires et, avec ma femme Claudine, de la philanthropie. Vous connaissez aussi mon intérêt dans le dossier du retour des Expos de Montréal. C’est un projet qui me tient à cœur. Et nous travaillons très fort pour le réaliser. Ce serait bien d’en arriver à un parc Jarry 2.0 au centre-ville ! Je m’implique également avec le fédéral (directeur national du financement du Parti libéral du Canada). Et, de nos jours, avec la politique dans le monde qui va très à droite, j’aime l’image du Canada. Les gens à l’étranger me disent : c’est un pays tolérant, ouvert aux autres et respectueux.

La dynastie Bronfman en cinq points

La petite histoire de Seagram

La dynastie Bronfman tire sa source de Seagram. Propulsée par Samuel, dans les années 20, l’entreprise devient le numéro un mondial des boissons alcoolisées. À une certaine époque, le puissant groupe est aussi actionnaire à plus de 20 % des produits chimiques DuPont. Et il est propriétaire de la firme immobilière Cadillac Fairview. Edgar, l’oncle de Stephen, dirige Seagram à partir des années 70. En 1994, il passe le témoin à son fils.

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Changement de cap 

Le règne d’Edgar Jr mène à un changement de cap désastreux dans le cinéma et la musique. L’empire est démantelé. Malgré la débâcle, Charles, le père de Stephen, garde son statut de milliardaire. Au cours de sa carrière, il est reconnu pour son travail à la direction de Seagram et pour son rôle de propriétaire du club de baseball les Expos de Montréal. C’est aussi un grand philanthrope au Canada et en Israël.

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L’origine de Claridge

En 1951, Samuel a mis sur pied la société privée d’investissement CEMP (Charles, Edgar, Minda, Phyllis) pour gérer la fortune de ses enfants. Dans cet esprit, Charles fonde Claridge, en 1987, pour sa fille Ellen et son fils. Avec le temps, Claridge devient la société familiale de Stephen. Cette formule permet d’aligner les intérêts d’une seule famille aux objectifs de placement. Et d’en faire une institution unique.

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Fiduciaire de la famille

Claridge est une société privée. Elle compte une trentaine d’employés, incluant la fondation. La valeur de ses revenus et de ses actifs n’est pas divulguée. Le montant de ses investissements l’est rarement. Elle est le fiduciaire de la famille de Stephen. Elle offre cependant à d’autres membres de la famille Bronfman des conseils en investissements, en comptabilité et en fiscalité. Mais elle ne gère pas leur capital.

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Implications et valeurs

Les activités de Claridge et de la Fondation de la famille Claudine et Stephen Bronfman reflètent les valeurs véhiculées par la famille. Claridge évolue dans les placements, l’alimentation, la technologie, les énergies vertes, le divertissement et l’immobilier. Elle doit satisfaire les attentes en termes de rendement afin d’assurer la pérennité du capital familial. Les orientations de la fondation sont liées à l’entrepreneuriat, à l’écologie, à la santé, aux communautés et aux arts.

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