Éditorial  Le SPVM et les signes religieux

Non, le dossier n’est pas « clos »

Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir…

À pareille date l’an dernier, l’opposition invitait Philippe Couillard à légiférer sur le port des signes religieux par les policiers. Sa réponse était aussi courte qu’incisive : « C’est un enjeu inexistant. »

Forcé de réagir à la même chose un an plus tard, le premier ministre s’est fait tout aussi tranchant cette semaine : « La question est close. » Point.

Et pourtant, tout, absolument tout indique le contraire. À commencer par la sortie du conseiller municipal Marvin Rotrand, qui demande au SPVM de permettre le port du hijab dans ses rangs.

Or, si une telle suggestion est faite, à sa face même, c’est que la question n’est pas « close ». Et si la mairesse de Montréal adhère spontanément à cette idée, alors que l’ensemble des partis d’opposition à l’Assemblée nationale y sont défavorables, c’est qu’il y a forcément « un enjeu », non ?

C’est d’ailleurs ce que nous ont confirmé à leur manière les lecteurs de La Presse, cette semaine, en répondant à un appel à tous sur la question. En un peu plus de 24 heures, ils nous ont envoyé tout près de 1000 messages !

On ne peut évidemment tirer aucune conclusion scientifique d’un tel exercice, sauf que le débat, manifestement, est loin d’être derrière nous.

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Le problème, ce n’est donc pas la sortie de Marvin Rotrand, comme on l’a entendu cette semaine. Ce n’est pas non plus la prise de position de la mairesse Plante, qui a bien droit à ses opinions.

Le problème, c’est que le Québec ne soit pas plus avancé sur ces questions aujourd’hui qu’il y a 10 ans, lors de la sortie du rapport de la commission Bouchard-Taylor.

Le gouvernement Couillard a beau avoir adopté le projet de loi 62 sur la neutralité de l’État, il n’a rien réglé, et ne nous a donc pas fait avancer.

Pire, il nous a fait reculer en nous éloignant du fameux compromis que proposait le rapport en 2008 : permettre le port des signes religieux aux agents de l’État, sauf à ceux qui incarnent au plus haut point l’autorité de l’État.

Autrement dit, le hijab et le turban seraient autorisés pour les fonctionnaires qui travaillent dans un bureau, mais on préserverait l’uniforme des agents détenant un pouvoir de coercition, comme les policiers et les gardiens de prison, afin d’éloigner toute apparence de partialité.

Pour les coauteurs du rapport, cela était un terrain d’entente raisonnable à l’époque. C’était à leurs yeux une porte de sortie honorable offerte aux élus (il faut d’ailleurs parler du « compromis Bouchard-Taylor » et non du « consensus Bouchard-Taylor », qui n’a jamais existé puisque le parti au pouvoir n’y a jamais adhéré, pas plus que Montréal).

Depuis, Charles Taylor a renié ce compromis, et le premier ministre Couillard l’a formellement refusé. Mais il n’en reste pas moins qu’encore aujourd’hui, il a le potentiel de rallier la CAQ, le PQ et Québec solidaire…

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Si le sujet rebondit dans l’actualité en pleine année électorale, c’est simplement la preuve que le Québec se trouve dans une situation toujours aussi intenable… à l’image du parti qui le gouverne.

Le Parti libéral, en effet, s’oppose à l’interdiction faite aux agents en position d’autorité sous prétexte qu’elle est discriminatoire… mais il refuse de permettre officiellement le port des signes religieux !

Il pellette plutôt le problème dans la cour du SPVM, comme si c’était un enjeu pour un corps de police municipal ! Comme si ce dernier avait la latitude pour s’aventurer sur ce terrain glissant qui pourrait le mener directement en Cour suprême !

C’est plutôt à Québec de prendre position, de toute évidence. C’est à Québec de trancher une fois pour toutes, pour tous les corps policiers. C’est à Québec, donc, de ressusciter le compromis Bouchard-Taylor, qui demeure aujourd’hui la moins pire des solutions, entre le laisser-faire et l’interdiction tous azimuts.

Certains prétendent qu’une telle interdiction serait inconstitutionnelle. Qu’elle porterait atteinte au droit à l’égalité et à la liberté de religion des personnes tentées par le métier de policier. Peut-être. La GRC et la police de Toronto autorisent les signes religieux sans grande conséquence, après tout.

Mais le Québec jouit tout de même d’un espace juridictionnel qui lui permet de personnaliser son modèle de laïcité. Et des avis juridiques demandés par la commission Bouchard-Taylor soutiennent que l’interdiction des signes religieux à une classe restreinte d’agents de l’État pourrait se défendre, même s’il n’y a évidemment rien de gagné.

On doit également reconnaître que la laïcité grande ouverte du Canada anglais passe difficilement au Québec, où le contexte social et historique est différent. Cela, de manière pragmatique, appelle une sorte de conciliation, un accommodement raisonnable en quelque sorte, sur la place de la religion dans la vie publique.

Encore aujourd’hui, c’est en concrétisant le fameux compromis Bouchard-Taylor qu’on pourra vraiment « clore » cet enjeu.

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