Un homme en colère
Cinq ans se sont écoulés depuis l’attentat au Métropolis de Montréal. Le 4 septembre 2012, le temps ne s’est pas arrêté pour Dave Courage, il s’est suspendu, dit-il. « J’ai oublié mes anniversaires, j’ai oublié que je suis rendu à 32 ans. » Le survivant de l’attentat le soir des élections provinciales vit aujourd’hui de l’aide sociale. Il souffre de douleurs chroniques et d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Il est séparé de sa conjointe depuis un an.
Journaliste et auteur, Denis-Martin Chabot a vu Dave Courage dans son lit d’hôpital la première fois qu’il l’a rencontré. Il a été sidéré de constater que le jeune homme de 27 ans n’avait pas été pris en charge par la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). C’était une dizaine de jours après l’attentat, à la suite de la victoire de Pauline Marois, première femme à être élue première ministre du Québec. De ce premier contact est né le livre Dave Courage – Survivre à l’attentat du Métropolis, ouvrage de 155 pages en librairie aujourd’hui.
Dans ce livre, l’auteur raconte un « homme rapaillé, délaissé et abandonné ».
« On a parlé en long et en large du tireur, Richard Bain, de son procès, de sa sentence. Du technicien Denis Blanchette, parce qu’il est mort, mais on a oublié Dave quelque part là-dedans. Je trouvais important d’offrir un témoignage de l’intérieur, à travers lui, à travers cinq personnes qui étaient sur place », explique Denis-Martin Chabot.
« J’ai toujours mal, mal tout le temps »
Attablé à un café de la rue Sainte-Catherine Est, à distance de marche du Métropolis, Dave Courage accepte de revenir sur la soirée fatidique, lors d’un entretien avec La Presse.
« Quand j’en parle, je suis fâché, et il y a de la peine qui remonte. Je me force tout le temps pour ne pas y penser. Mais chaque fois que le 4 septembre arrive, j’y pense, ça remonte, et je me souviens que c’est le jour où je me suis réveillé à l’hôpital. Je suis béni des dieux d’être en vie. Mais je ressens de la haine, de la colère tous les jours pour l’après, la façon dont j’ai été aidé, soigné. »
Dave Courage n’aime pas s’étaler en public. Mais comme il ne trouve pas les mots pour décrire sa souffrance, il se lève de sa chaise pour en parler. Il se tourne de côté, dénude sa hanche à l’endroit où le projectile l’a traversé après avoir tué son ami sur le coup. « La balle est entrée par ici et elle a été ressortir par là. Elle a explosé mon coccyx, elle a sectionné mon rectum. La balle a créé une onde de choc. Mes nerfs ont été atteints. Mon fessier, mon dos s’affaissent, le côté droit de mon corps tombe, je ne ressens plus le sol sous ma jambe. Je perds souvent l’équilibre. J’ai toujours mal, mal tout le temps », dit-il.
Psychologiquement, ce n’est pas mieux, admet-il. Il n’a pas le suivi médical ni le suivi psychologique dont il aurait besoin. « Je suis tombé, ce soir-là, puis je me suis réveillé 12 heures plus tard et on m’a appris que j’avais reçu une balle, la même qui a tué mon ami. Chaque boum me fait mal. En me rendant ici, c’étaient les travaux de construction. J’ai de plus en plus de cheveux gris, je suis frustré la plupart du temps, j’ai l’air frustré. Je suis toujours sur l’adrénaline. J’arrive à me contrôler, mais j’ai des rides qui se forment. »
Pauline Marois
L’ancienne première ministre Pauline Marois, qui a accepté d’ajouter sa voix au livre, y signe aussi un mot. « Des personnes qui étaient là pour gagner honnêtement leur vie ont été victimes de l’intolérance et du racisme », écrit-elle en avant-propos.
Plus loin, dans le livre, l’auteur revient sur les funérailles de Denis Blanchette, une semaine après l’attentat. Le courant ne passait pas entre la mère de Dave, Yvonne Vigneault, et Pauline Marois. « Elle m’a appelée madame Content. Madame Content ! Je te dis que j’étais contente », se souvient Mme Vigneault.
Quand on relate cet épisode à Dave Courage, il fronce les sourcils. Même s’il était sous l’effet d’une forte médication à l’hôpital, il se souvient qu’il a fallu que les médias s’en mêlent avant que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) – aujourd’hui Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail – annonce qu’il allait être indemnisé le lendemain. Une somme de 1000 $ par mois qui a cessé d’être versée depuis. Dave Courage vit de l’aide sociale.
« Je ne connais pas Mme Marois, dit-il. J’aimerais la rencontrer. Je peux difficilement la juger. Elle m’a appelé, une seule fois, le matin que je me suis fait tirer. Je ne crois pas qu’elle soit méchante. J’ai été très fâché contre elle, dans la frustration. Mais j’ai compris dans le calme que je n’ai pas à recevoir un traitement spécial parce que je me suis fait tirer dessus à sa soirée. »
« En même temps, poursuit Dave Courage, je ne peux pas m’empêcher de me dire que si j’avais été le fils de Pauline Marois, je n’aurais pas eu de problèmes. Je suis certain de ça. Ce n’est pas juste. La situation aurait été pas mal différente pour moi. Je suis certain que je ne serais pas dans cet état aujourd’hui, j’aurais eu de bons soins. »