Gabriel Nadeau-Dubois

Radical pour les uns, nuancé pour les autres

Fin mai 2012, la grève étudiante fait rage au Québec depuis des mois, policiers et manifestants sont sur les dents, les négociations entre le gouvernement et les associations étudiantes viennent d’être rompues et la tension est à son comble.

Dans un corridor de la tribune de la presse, à Québec, Jean Charest, qui vient de donner une entrevue, avance d’un pas rapide avec ses gardes du corps, qui aperçoivent un jeune homme marchant dans leur direction avec… un gâteau dans une main.

Les gardes du corps reconnaissent immédiatement Gabriel Nadeau-Dubois, ils foncent sur lui, le font entrer dans une pièce, ferment la porte et lui demandent de rester là, le temps que le premier ministre sorte de l’immeuble. 

« C’était le 31 mai, raconte l’ancien porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). Je m’en souviens parce que c’est le jour de ma fête et le jour où les négociations ont été rompues. Mes amis venaient de m’offrir un gâteau et les gardes du corps, en me voyant dans le corridor, ont pensé que j’allais entarter M. Charest ! Moi, je n’avais même pas pensé à ça, au contraire. C’était la première fois que je croisais Jean Charest et je lui aurais serré la main. »

LEs « habiletés » de charest

Cette anecdote fait bien rire GND aujourd’hui, mais elle illustre bien comment il était devenu à cette époque, même « armé » d’un gâteau d’anniversaire, une menace pour le gouvernement libéral.

Depuis des mois, Jean Charest et ses ministres dénonçaient les débordements violents dans les manifestations et reprochaient à Gabriel Nadeau-Dubois d’encourager les casseurs en refusant de les condamner publiquement.

« Ça faisait partie de la stratégie électorale des libéraux, et ça a presque marché, ils ont presque gagné en 2012 !, reprend GND. C’est pour ça que je suis parti [en août 2012] : je ne voulais pas servir d’instrument ou de prétexte à la réélection des libéraux. »

M. Nadeau-Dubois garde un mauvais souvenir, mais pas de rancœur personnelle envers Jean Charest. 

« Il y a un gouffre entre lui et moi sur notre idée de ce qu’est le Québec, mais il faut admettre qu’il a des habiletés politiques qui forcent l’admiration. »

— Gabriel Nadeau-Dubois

Dépeint comme un dangereux agitateur par les libéraux (encore aujourd’hui, d’ailleurs), Gabriel Nadeau-Dubois est, au contraire, un jeune homme « calme », « respectueux », « discipliné », voire « réservé », disent ses amis, ses collègues, ses professeurs et même ses opposants de 2012.

Arielle Grenier, représentante des « carrés verts », est une des rares étudiantes à avoir débattu publiquement, notamment à Tout le monde en parle, de la hausse des droits de scolarité avec Gabriel Nadeau-Dubois, un épisode qui, cinq ans plus tard, la suit encore et dont elle voudrait bien se libérer. Les rouges et les verts avaient les nerfs à fleur de peau, après des mois de grève, et Arielle Grenier a été la cible d’attaques dégradantes sur les réseaux sociaux.

De GND, elle garde toutefois une image positive. Le hasard a voulu qu’ils se retrouvent dans le même cours de « pensée politique critique » à l’Université de Montréal en 2013. « Au début du cours, il n’y avait pas beaucoup d’étudiants, mais le mot s’est répandu dans l’université que nous étions assis dans le même cours, et tout d’un coup, la salle s’est remplie, il y avait même des étudiants assis par terre », raconte Mme Grenier. Plusieurs attendaient l’affrontement, mais les deux protagonistes se sont levés à la pause et sont allés prendre un café ensemble.

« Je n’ai vraiment rien à dire de méchant de Gabriel. Je lui avais envoyé un courriel avant le cours pour lui offrir de prendre un café et il a accepté. Il a été très correct. Les étudiants étaient pas mal surpris de nous voir aller prendre un café ensemble. »

De rock star à élève réservé

Son directeur de maîtrise à l’UQAM (il vient de déposer son mémoire), le sociologue Jean-François Fillion, décrit GND comme un « étudiant brillant, sage et travaillant », pas revendicateur et plutôt réservé. « À l’automne 2012, j’ai vu son nom sur mes listes d’étudiants et je me suis dit que j’aurais une rock star dans ma classe. Eh non, c’est un élève modèle, dit M. Fillion. Il participe bien et il a la bonne posture, c’est-à-dire celle de l’étudiant qui est là pour apprendre. »

Ses collègues de la tournée Faut qu’on se parle, notamment Maïtée Saganash, Alain Vadeboncoeur et Karel Mayrand, et ceux du manifeste écologiste Pour un élan global, dont Camil Bouchard, le dépeignent tous comme attentif aux autres, facile d’accès et très organisé, des qualités étonnantes pour un jeune homme de 26 ans.

« Lorsqu’on travaillait sur Pour un élan global, dit Karel Mayrand, je m’étais dit : “Tabarouète, j’aurais aimé ça être sharp comme lui à son âge.” Gabriel pourrait tout aussi bien lancer une microbrasserie qu’un parti politique, il fait ce qu’il faut pour que ça marche. »

Une image publique étudiée

Gabriel Nadeau-Dubois ne laisse rien au hasard et il est très conscient, notamment, de l’importance des médias dans ses actions.

Lorsqu’elle l’a remplacé comme porte-parole de la CLASSE, en 2012, Camille Godbout a eu droit aux conseils et même à un entraînement-média intensif de la part de GND. « On pouvait passer une journée complète dans un bureau fermé à faire des simulations de conférence de presse ou d’émission de télé ou de radio, dit Mme Godbout, qui étudie maintenant à Bologne, en Italie. Gabriel m’a vraiment coachée, c’est lui qui m’a appris à affronter les médias. »

Il semble que GND a toujours soigné son image publique avec un fin souci du détail. Dans une entrevue parue dans Métro en 2012, son fidèle attaché de presse Renaud Poirier Saint-Pierre expliquait que M. Dubois tenait à porter tous les jours « une chemise propre, mais froissée », question de donner de lui l’image d’un « jeune respectable, mais aux moyens financiers limités ».

Le militantisme étudiant, Gabriel Nadeau-Dubois est tombé dedans lorsqu’il était petit. Et même avant sa naissance. Ses parents se sont rencontrés lors des manifestations étudiantes de 1984. 

« Je suis vraiment un enfant de la grève, et ce n’est pas une blague. »

— Gabriel Nadeau-Dubois

Son père vient du Saguenay, sa mère, de Pontbriand, près de Thetford Mines, mais il est né et a grandi à Montréal. Il a étudié au collège privé Regina Assumpta et au collège de Bois-de-Boulogne.

Il a été propulsé à l’avant-scène de la grève étudiante en 2012, à seulement 21 ans. Ses talents d’orateur ont séduit ses partisans autant qu’ils ont irrité ses détracteurs, qui lui reprochaient de faire un « ego trip ».

« Gabriel parle beaucoup, il ne lâche pas souvent le morceau, il prend de la place et ça peut parfois être un défaut, mais il a aussi une carapace et il est fort, dit Camille Godbout. Ce qu’il a vécu en 2012 l’a bien préparé pour son entrée en politique. »

La certitude de David et le doute de Parizeau

Perçu très souvent comme un radical dans l’opinion publique, GND est, au contraire, quelqu’un de nuancé et de posé, disent ses amis et ses professeurs. « On le dépeint comme quelqu’un de tranché, dit Renaud Poirier Saint-Pierre, mais au fond, il analyse tout de façon systématique et très réfléchie, peut-être trop. Il est trop prudent, parfois, et ça donne des peut-être au lieu de oui ou de non. »

Aux yeux de l’aile dure de la CLASSE, GND était considéré comme trop conciliant, pas assez à gauche.

Françoise David, elle, l’a choisi personnellement comme son successeur et lui a écrit pour lui annoncer sa retraite avant tout le monde, ce qui équivaut à une bénédiction.

L’ex-premier ministre feu Jacques Parizeau avait de la sympathie pour l’ex-leader étudiant, mais il a déjà confié à un proche, en 2012, à propos de Gabriel Nadeau-Dubois : « Ce jeune homme fera un excellent bourgeois. »

C’est l’histoire de la (jeune) carrière publique de GND : toujours trop… ou pas assez.

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