Chronique

Conjurer le sort

La plus grande surprise de ce tournoi émaillé de surprises ? L’Angleterre qui gagne aux tirs au but. Les Anglais, sur lesquels pesait la malédiction de trois défaites en trois matchs se décidant aux penaltys en Coupe du monde, n’ont plus le poids de l’histoire sur les épaules. Ils ont vaincu les Colombiens aux tirs de barrage, hier à Moscou.

Et voilà que cette jeune équipe anglaise sur laquelle on fondait peu d’espoirs peut rêver d’écrire son propre chapitre de la légende des Trois Lions en Coupe du monde. Elle n’a pas connu de dénouement heureux depuis longtemps (1966 et un triplé controversé de Geoff Hurst, pour être plus précis)…

La moitié du tableau la plus favorable de ce Mondial russe s’ouvre aux Anglais, avec les Suédois comme prochains adversaires, en quart de finale. Mais cette qualification aura été obtenue à la dure. Dans les arrêts de jeu, alors que leur équipe menait 1-0, des partisans anglais chantaient sans doute déjà « It’s coming home, it’s coming, football’s coming… » Oh ! Lorsque tout a été remis en question par un but colombien sur corner, à la 93e minute.

Les Anglais avaient un pied en quart de finale, gracieuseté d’un penalty converti par Harry Kane à la 57e minute. Le gardien anglais Jordan Pickford venait tout juste de stopper du bout des doigts une frappe foudroyante et improbable de Mateus Uribe, des 35 mètres. L’Angleterre y était presque.

C’était avant que le grand Yerry Mina (encore lui !) égalise d’une reprise de la tête, le ballon se logeant après un rebond dans la lucarne, au-dessus du défenseur Kieran Tripper, reculé sur la ligne des buts au deuxième poteau. Il s’agissait du troisième but du jeune défenseur colombien du FC Barcelone en trois matchs en Russie. On n’a pas fini d’entendre parler de lui.

Ce match rugueux, tendu et peu séduisant avait déjà atteint depuis un moment son point d’ébullition. Voilà deux équipes à ne pas inviter au même party de bureau de la FIFA à Noël. On a eu droit à une guerre de tranchées entre deux adversaires refusant de céder le moindre centimètre, à l’image de Carlos Sánchez , fondant sur Harry Kane sur le corner qui a mené au penalty du numéro 10 anglais.

C’est à se demander d’ailleurs si les protestations pour ce même genre d’obstruction sur Kane dans la phase de groupes, sans penalty à la clé, ont pesé hier dans la décision de l’arbitre américain Mark Geiger (qui ne fera rien pour améliorer la réputation mise à mal des arbitres de la MLS, avec tous les cartons qu’il a distribués).

Harry Kane a inscrit son sixième but du tournoi, un sommet dans la compétition et un record en équipe d’Angleterre dans un Mondial qu’il partage désormais avec Gary Lineker, Soulier d’or de 1986. Succédera-t-il à James Rodríguez, qui avait été le meilleur buteur au Brésil, en 2014, avec six réalisations ?

La Colombie était sans son meneur de jeu hier, contraint de regarder le match des gradins en raison d’une blessure à un mollet. Rodríguez avait été la révélation du Mondial brésilien, avant l’élimination des Cafeteros en quart de finale contre le pays hôte. Radamel Falcao, qui était lui-même blessé il y a quatre ans, espérait prendre le relais et montrer à ses ex-employeurs de Manchester United et de Chelsea qu’ils avaient eu tort de le laisser repartir à Monaco. Pas sûr…

Cinq joueurs de la formation partante de la Colombie avaient déjà joué en Premier League anglaise, parmi lesquels Juan Cuadrado, ex-ailier de Chelsea. Le rapide milieu de terrain et fantasque dribbleur, champion de la Serie A cette saison avec la Juve, n’a pas su profiter d’une erreur de Kyle Walker, en fin de temps réglementaire, et a envoyé valser sa frappe bien au-dessus de la barre de Jordan Pickford.

La Colombie attaquait avec l’énergie du désespoir lorsque Mina, qui a remporté tous ses duels aériens, a marqué. Et c’est sans surprise que les Colombiens, euphoriques après cette égalisation in extremis, se sont montrés plus menaçants dans la première période de prolongation. Les Anglais ont toutefois pris l’ascendant en toute fin de match. Eric Dier, laissé seul sur un corner devant la cage de David Ospina, a été incapable de cadrer de la tête.

Les Anglais espéraient sans aucun doute éviter le pire : c’est-à-dire l’épreuve des tirs aux buts, leur talon d’Achille. Six fois depuis 1990, les Anglais ont perdu à ce jeu cruel en Coupe du monde ou à l’Euro. Le sélectionneur Gareth Southgate a lui-même raté un célèbre penalty en demi-finale de l’Euro 96, en Angleterre, face à la bête noire allemande.

Southgate avait l’air plus serein que son confrère argentin José Pékerman, sélectionneur de la Colombie, lors des tirs de barrage. Le « professeur » se voilait le visage, incapable de regarder la séance de tirs au but. David Ospina a eu beau faire un très bel arrêt sur le tir de Jordan Henderson, le tir de son coéquipier Uribe a percuté la barre avant que Pickford, d’une main forte, ne stoppe net celui de Bacca et que Dier ne se rachète pour son occasion ratée quelques minutes plus tôt.

Au son de Rule, Britannia !, vieil hymne patriotique de l’époque de l’Empire britannique, devant des dizaines de drapeaux anglais accrochés aux tribunes du stade du Spartak, les « Three Lions » ont conjuré le sort de leurs défaites aux penaltys de 1990, 1998 et 2006. Ils ont dans la foulée fait (un peu) oublier leur performance calamiteuse de 2014, alors qu’ils avaient terminé derniers de leur groupe.

L’Angleterre affrontera la Suède en quart de finale samedi. Finaliste chez elle en 1958 face au fameux Brésil de l’adolescent Pelé (champion à 17 ans) et tombeuse de l’Italie en matchs de barrage du Mondial en novembre dernier, la Suède, extrêmement bien organisée, est un adversaire redoutable, comme l’a appris hier la Suisse. (L’ex-joueur suisse de l’Impact Blerim Dzemaili a raté une occasion en or en première mi-temps, alors qu’il était seul dans la surface, et ne risque pas de l’oublier.)

Les quarts de finalistes sont désormais connus : six équipes européennes et deux sud-américaines. Une équipe parmi l’Angleterre, la Suède, la Russie ou la Croatie sera finaliste de cette Coupe du monde, le 15 juillet. Peu de gens l’auraient prédit il y a trois semaines. Est-ce que l’Angleterre, dont les quarts de finale ont le plus souvent été la « limite » dans ce tournoi, peut se rendre plus loin cette fois ? Les Anglais, désinhibés et confiants, seront certainement galvanisés par le résultat d’hier. Et ils auront raison d’y croire.

Suède

Il y a une vie après Zlatan

SAINT-PÉTERSBOURG — L’héritier de Zlatan Ibrahimović a finalement été à la hauteur pour la Suède à la Coupe du monde.

Emil Forsberg a vu son tir dévié se retrouver au fond du filet à la 67e minute pour procurer à la Suède une victoire de 1-0 contre la Suisse et lui permettre d’atteindre les quarts de finale du Mondial pour la première fois en 24 ans.

Gêné et discret, le footballeur de 26 ans ne pourrait être plus différent qu’Ibrahimović, joueur plus grand que nature qui a régné sur cette équipe de Suède pendant plus de 10 ans et qui est le plus grand joueur jamais produit par le pays scandinave. Ils partagent toutefois l’habileté à créer des occasions à partir de rien sur un terrain.

« J’en ai les yeux pleins d’eau et ça me rend très fier. »

— Emil Forsberg

Forsberg s’est présenté en Russie avec une énorme pression sur les épaules, en partie créée par la retraite internationale d’Ibrahimovic, prise il y a deux ans. Il a été plutôt tranquille en phase de groupes, mais les qualités offensives du milieu de terrain ainsi que son agilité ont détonné au stade Krestovski, au cours de cette rencontre plutôt échevelée.

« Il s’est beaucoup développé, surtout sur le plan de l’approche globale de son jeu, a indiqué le sélectionneur suédois Janne Andersson. Même s’il ne réussit pas tous ses dribles, il contribue tellement dans chaque aspect de son jeu. Et il connaît ces moments décisifs. »

Posté à l’entrée de la surface, Forsberg a décoché un tir faible à ras du sol, qui semblait se diriger directement vers le gardien Yann Sommer. Il a toutefois été touché par le défenseur helvète Manuel Akanji pour se retrouver dans le filet.

Occasion ratée

La Suède est devenue la cinquième nation d’Europe à passer en quarts, où elle affrontera l’Angleterre, samedi à Samara. Limités, mais avec une stratégie très efficace, les Suédois ne devront pas être sous-estimés.

Il s’agit par contre d’une autre occasion ratée par les Suisses, qui ont atteint la ronde des 16 lors de quatre des cinq dernières Coupes du monde, mais chaque fois éliminés sans marquer. Ils n’ont pas marqué de but en phase éliminatoire du Mondial au cours des 64 dernières années, soit lorsqu’ils avaient atteint les quarts de finale chez eux, en 1954.

Ils ont terminé la rencontre à 10 joueurs, après l’expulsion de Michael Lang, sur un carton rouge direct pour une faute à l’endroit de Martin Olsson tout juste à l’extérieur de la surface. L’arbitre avait d’abord accordé un penalty, mais après révision vidéo, c’est un coup franc qu’ont obtenu les Suédois, sans succès.

Les Helvètes, qui n’ont assurément pas joué comme une nation classée sixième au monde et qui n’avait subi qu’une seule défaite à ses 25 dernières sorties, peuvent s’estimer heureux d’avoir toujours été dans la rencontre à ce moment.

« Ils ont joué selon leurs grandes forces et ça a été suffisant pour nous battre, a expliqué le sélectionneur suisse Vladimir Petkovic. Quand ils marquent un but, c’est extrêmement difficile de percer leur coquille par la suite. »

La dernière fois que les Suédois ont atteint les quarts, lors du Mondial américain de 1994, ils s’étaient inclinés 1-0 devant les Brésiliens, futurs vainqueurs, en demi-finale, avant de battre la Bulgarie 4-0 pour terminer au troisième rang.

EN BREF

Löw garde son emploi…

Malgré son élimination à l’issue de la phase de groupes de la Coupe du monde, Joachim Löw demeurera à la tête de l’équipe nationale de l’Allemagne. La Fédération allemande de soccer dit avoir été informée que Löw espérait garder son poste et « rebâtir l’équipe avec une vision des tâches futures ». Championne en titre, l’Allemagne a terminé au dernier rang du groupe F à la suite de défaites contre le Mexique et la Corée du Sud.

— Associated Press

… pas Nawalka

Le président de la Fédération polonaise de soccer a annoncé que le contrat de l’entraîneur Adam Nawalka ne serait pas renouvelé à la suite de l’élimination de la Pologne dès la phase de groupes. Zbigniew Boniek a fait savoir hier que Nawalka resterait en poste jusqu’au 30 juillet. Inscrite dans le groupe H, la Pologne a subi des défaites de 2-1 contre le Sénégal et de 3-0 contre la Colombie. Sa seule victoire a été acquise face au Japon, 1-0.

— Associated Press

La Coupe Stanley à Moscou

Moins d’un mois après avoir remporté la Coupe Stanley pour la première fois de sa carrière, Alexander Ovechkin poursuivra sa tournée estivale en apportant le trophée à Moscou, samedi. La Coupe Stanley sera alors mise en montre lors d’une activité publique dans le cadre du match de quart de finale entre la Russie et la Croatie.

— Associated Press

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