Architecture

COMMENT LE BAUHAUS A CHANGÉ VOTRE VIE

Né en Allemagne il y a exactement 100 ans, le Bauhaus n’aura duré que 14 années avant d’être chassé par les nazis. Or, cette école de pensée a encore une influence considérable sur la façon dont nous vivons dans nos maisons. Regard sur un mouvement qui a jeté les bases de l’architecture moderne… rien de moins !

Un dossier de Sophie Ouimet

Architecture

Des habitats où l’on se sent bien

Tout le monde a déjà entendu le mot « Bauhaus », mais bien malin celui qui saurait en donner la définition exacte. En allemand, bau signifie « bâtir », alors que haus veut dire « maison ». Et le Bauhaus, c’est exactement ça : l’art de construire des habitats où l’on se sent bien et, surtout, de les rendre accessibles à tous.

En effet, si nous vivons aujourd’hui dans des environnements sains, lumineux et largement vitrés, on le doit en partie aux enseignements de cette école – parce que, oui, le Bauhaus était d’abord une école. Et si son héritage se fait sentir dans nos maisons, il s’est aussi étendu aux œuvres d’art, aux objets usuels et à l’architecture institutionnelle. Qu’ont en commun une chaise pliante de jardin et le Westmount Square de Mies van der Rohe ? Ils découlent tous deux, à des degrés divers, de la vision du Bauhaus. Mais pour vraiment répondre à la question, mieux vaut commencer par le commencement.

Un mouvement d’avenir

Allemagne, avril 1919. La révolution industrielle est derrière nous, la Première Guerre aussi. Le fondateur du mouvement Bauhaus, Walter Gropius, veut réfléchir au monde de demain. Comment créer un environnement plus sain pour les humains ?

« À cette époque, les gens vivaient dans des environnements épouvantables », affirme Denis Bilodeau, professeur titulaire en architecture à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. C’est ainsi que Walter Gropius a voulu réunir tous les corps de métier liés de près ou de loin à l’art, à l’architecture ou à la construction, pour penser à un habitat plus sain. « Le Bauhaus était donc un projet social : tous ces gens-là étaient réunis avec un objectif, qui était de créer un nouvel environnement pour un monde moderne en transformation », poursuit Denis Bilodeau.

Fusionner tous les corps de métier en une seule institution, voilà une idée qui était révolutionnaire au début du XXe siècle. « L’école a été fondée à partir d’un manifeste, où l’on parle de réunir architecture, sculpture, peinture, et d’éliminer toute forme de ségrégation entre les disciplines », résume Martin Racine, professeur titulaire au département de design et d’arts numériques à l’Université Concordia, en soulignant le caractère utopique de la démarche.

Mais pour regarder vers l’avenir, il fallait d’abord tourner le dos au passé. En effet, avant que le Bauhaus entre en scène, les arts décoratifs et leurs ornements excessifs représentaient la seule façon de faire. C’est ce modèle réservé à l’élite que le Bauhaus a voulu casser. 

« L’esprit du Bauhaus, c’était de créer des habitats qui soient accessibles, pratiques et bien conçus, et dans lesquels on va éliminer toute forme de hiérarchie bourgeoise avec les ornements, les matériaux riches et tout ça. »

— Martin Racine, professeur en design et arts numériques à l’Université Concordia

D’abord établie à Weimar après la fin de la Première Guerre mondiale, l’école a déménagé en 1925 à Dessau, une ville industrielle d’Allemagne. C’est là que Gropius a construit un bâtiment pour accueillir son école, où il allait mettre à profit tous ses nouveaux principes : la transparence, les angles droits, un toit plat… Mine de rien, Gropius venait de bâtir l’un des édifices les plus importants dans l’histoire de l’architecture moderne.

Au lieu de s’empêtrer dans les fioritures, cette nouvelle architecture aux murs de verre et au look industriel se devait d’être fonctionnelle, donc dépouillée d’ornements et dotée d’une forme qui laisse deviner sa fonction. C’est là aussi qu’on a vu l’arrivée des murs-rideaux, soit ces immenses façades de verre qui ne sont plus porteuses de la structure du bâtiment, mais qui semblent plutôt flotter dans l’espace. Ajoutons à cela une simplicité dans les lignes et l’idée de travailler avec les matériaux tels qu’ils sont, sans traitement : le béton et l’acier, notamment.

C’est dans ce bâtiment que s’est développé l’ensemble de la pensée du Bauhaus. Celle-ci se décline bien au-delà de l’architecture, notamment dans les arts, avec des peintres comme Paul Klee et Vassily Kandinsky qui y ont enseigné. C’est là aussi qu’on a assisté à la naissance du design industriel, qui faisait place pour la première fois au mobilier aussi pratique qu’esthétique. Parmi les exemples les plus connus, notons la chaise tubulaire d’acier de Marcel Breuer, qui existe encore aujourd’hui et dont on voit toujours plusieurs interprétations.

Un héritage durable

L’école a connu trois directeurs : d’abord Walter Gropius, puis Hannes Meyer et, finalement, un certain Ludwig Mies van der Rohe, qui en fut le dernier dirigeant.

En effet, les nazis ne voyaient pas d’un bon œil cette école, qu’ils qualifiaient de « communiste ». Celle-ci a donc dû cesser ses activités en 1933. Mais même si cette fermeture a sonné la fin du Bauhaus en Allemagne, elle signifie surtout le début d’un nouveau souffle pour le mouvement, parce que ses idées se sont finalement disséminées un peu partout dans le monde.

Plusieurs des gens qui avaient été proches du Bauhaus sont partis en Angleterre, avant de gagner les États-Unis. On en trouve aussi un héritage significatif à Tel-Aviv, notamment.

Chez nous, toutefois, on retiendra surtout l’influence américaine de cette deuxième vie du Bauhaus. Alors que Gropius et Marcel Breuer mettront le cap vers Boston, où ils enseigneront à Harvard, Mies van der Rohe, lui, se réfugiera à Chicago où il deviendra directeur du département d’architecture de l’Illinois Institute of Technology.

L’architecture de Mies dérivera ensuite vers ce qu’on appelle le « style international », une évolution des principes du Bauhaus combinée à l’utilisation de nouveaux matériaux. Pour Mies, cela se traduira notamment par la réalisation du Seagram Building, à New York. Mais nous entrons ainsi dans un autre pan de l’histoire…

Et ici ?

Cette transformation prendra un petit moment pour se rendre jusqu’à nous, mais elle y parviendra. « Le projet moderne, qui est né en Europe dans les années 20, va prendre forme ici davantage à partir des années 60, croit Denis Bilodeau. On a vu beaucoup d’architectes qui avaient été en contact avec ces approches tenter à leur tour de moderniser notre milieu. »

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L’HÉRITAGE DU BAUHAUS AU QUÉBEC

LA FACULTÉ DE L’AMÉNAGEMENT

Croyez-le ou non, l’endroit où l’on forme les futurs architectes à Montréal est directement inspiré du Bauhaus ! Selon Denis Bilodeau – qui y enseigne d’ailleurs –, les principes qui prévalaient à l’école de Dessau sont très semblables à ceux de notre pavillon montréalais.

« Quand Walter Gropius a conçu le bâtiment pour le nouveau Bauhaus, il a établi entre autres cette question des ateliers qui prenaient la forme d’un espace quasi industriel, d’expérimentation, de prototypage, d’exploration, explique M. Bilodeau. C’était un grand espace, très ouvert, avec une structure de béton et un mur-rideau. Eh bien, c’est exactement ce qu’on a ! »

LE WESTMOUNT SQUARE

Le Westmount Square, à Montréal, possède beaucoup de similitudes avec un gratte-ciel iconique de New York, le Seagram Building. On y reconnaît la signature de leur architecte commun, Mies van der Rohe, notamment dans l’utilisation du verre et du mur-rideau, ainsi que dans la structure de béton.

« Pour s’adapter aux règlements d’urbanisme de New York, le Seagram a un recul par rapport à la rue, où on a fait une place centrale dans laquelle il y a une œuvre d’art, souligne le professeur Martin Racine. C’est typiquement la vision de Mies, c’est-à-dire l’intégration de l’art à l’architecture, une place pour les citadins… Il reprend la même façon de faire avec le Westmount Square et aussi le Toronto Dominion. »

UNE MAISON BLANCHE

Il existe peu d’exemples du style Bauhaus dans l’architecture résidentielle au Québec. « Mais dans différents quartiers, par exemple à Outremont ou à Québec, on retrouve des maisons blanches qui ont été réalisées dans l’esprit de cette architecture qu’on associe au Bauhaus », note Denis Bilodeau.

C’est le cas de cette maison d’Outremont, qui est d’ailleurs actuellement à louer. Toutefois, puisque plusieurs courants modernes sont nés au début du siècle, on pourrait plutôt associer ce style au mouvement hollandais De Stijl. Le peintre Piet Mondrian est l’une des figures de proue de ce mouvement, qui a ensuite influencé le Bauhaus.

une CHAISE DE JARDIN

Le design industriel représente un autre morceau important de l’héritage du Bauhaus. C’est à cette époque qu’est née la première chaise tubulaire d’acier, créée par Marcel Breuer.

Chez nous, on retrouve certains aspects liés à ces chaises dans le travail du designer industriel Julien Hébert, selon le professeur Martin Racine. « On reconnaît les principes mis de l’avant au Bauhaus : la forme suit la fonction (form follows function), l’étude du confort et de l’ergonomie, la conception favorisant une production en série peu coûteuse, l’absence d’ornementation et de décoration inutile ou superflue, ainsi que l’innovation dans la simplicité. »

Sans oublier la fameuse chaise pliante en vente dans toute bonne quincaillerie… eh oui, elle épouse ces mêmes formes héritées du Bauhaus !

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