Opinion

La renaissance économique de Montréal n’est pas une illusion

L’économie de Montréal ne s’est jamais aussi bien portée. Le taux d’emploi de la Région métropolitaine de Montréal (pourcentage de la population de 15 ans et plus avec un emploi) dépasse aujourd’hui celui de Toronto ; du jamais vu . Il n’y a pas si longtemps, Montréal affichait un taux de chômage le double de celui de Toronto. Or, l’écart s’est effacé. Le marché montréalais du travail est aujourd’hui, somme toute, aussi performant que celui de la Ville Reine. Peu de grandes métropoles ont réussi un tel renversement. Pour en comprendre les racines, il faut retourner en arrière.

Les années difficiles

Les années 60 furent des années folles. Expo 67, pour ceux qui s’en souviennent, fut un moment d’ivresse, le gros party d’une métropole qui disait à la planète « me voilà ! ». Un peuple se réveillait. La Révolution tranquille battait son plein. Montréal était la métropole du Canada, et le restera. Mais derrière cet optimisme couvait, nous le savons, une crise sociale. Les données publiées (pour la première fois) du recensement nous apprenaient qu’un francophone bilingue gagnait moins qu’un anglophone unilingue. Le français était une langue d’inférieurs. Pierre Vallières sort Nègres blancs d’Amérique en 1968. La même année voit la naissance du Parti québécois (PQ). Puis, la crise d’Octobre de 1970. Manifestement, quelque chose devait changer.

Le choc est survenu en novembre 1976 avec l’élection du PQ et la loi 101 peu après. Il n’est pas utile de revenir ici sur la loi 101 ou sur les fondements de l’idéal indépendantiste. L’essentiel, c’est que l’arrivée du PQ fut perçue comme une hécatombe par la communauté anglophone. 

À part le bouleversement linguistique, l’élection rendait la menace séparatiste bien réelle. Peut-être le Québec allait-il partir. 

La suite était prévisible. Montréal perdrait une bonne partie de son élite économique, partie à Toronto avec ses capitaux et ses cerveaux. Selon une étude du Conseil du patronat de l’époque, 263 sièges sociaux seraient partis entre janvier 1977 et novembre 1978. La Banque de Montréal s’apprêtait à changer son nom pour First Canadian, nom que porte la place à Toronto qui abritait désormais son siège social (de facto).

Là encore, il n’est pas utile d’entrer dans le détail des pertes subies de capital financier et humain. L’essentiel, ce fut un véritable élixir pour Toronto et un éteignoir pour Montréal. Mais, la (mal) chance a voulu qu’une deuxième épreuve s’abatte sur la métropole, quoique personne à l’époque ne s’en rendait compte : en octobre 1975 s’ouvrait l’aéroport de Mirabel, qui devait relancer l’économie montréalaise ; mais dont l’effet fut exactement l’inverse. La décision de diviser le marché entre deux aéroports, l’un pour les vols continentaux et l’autre pour les vols intercontinentaux, a détruit du jour au lendemain la fonction de Montréal comme plaque tournante (les passagers avec correspondances devaient se déplacer entre les deux aéroports, donc à éviter). Ce fut un cadeau de plus à Toronto, devenu la plaque tournante aérienne du pays, raison de plus d’y installer des fonctions de direction et de finance.

Ces deux malheurs sont en plus survenus à un moment où Montréal, comme d’autres métropoles, subissait des pertes majeures d’emplois manufacturiers. La région perdrait quelque 50 000 emplois dans le vêtement et le textile au cours des prochaines décennies. Mais, à la différence d’autres métropoles, Montréal ne pouvait pas compter sur des gains dans la finance et des services supérieurs connexes pour compenser ces pertes.

Montréal s’enfonce alors dans deux décennies (1975-1995 en gros) d’agonie durant lesquelles le taux de chômage tombe rarement en bas de 10 %. Ce fut une période de questionnement, de sommets socioéconomiques répétés et d’études interminables (moi-même l’un des coupables). Certains se rappelleront le rapport Picard de 1986, dont le diagnostic fut accablant. Montréal allait-il sortir de sa torpeur ? C’était loin d’être évident, une ville frappée par le quadruple malheur d’une élite et d’un espace économique perdus, un aéroport bicéphale dysfonctionnel et un secteur manufacturier vieillot.

La renaissance

Le tournant est venu dans les années 90 avec l’arrivée de l’internet et le boom techno. Mais, la principale source du tournant fut la montée d’une nouvelle classe d’affaires (francophone surtout, mais pas seulement), enfants des réformes des années 60 (en éducation, notamment) et de la loi 101. En 1992, le Montreal Board Trade fusionne avec la Chambre de commerce de Montréal pour fonder la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, geste hautement symbolique dont la signification n’échappe à personne. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. L’attribut premier des entreprises de la nouvelle économie montréalaise était leur diversité – la plupart n’existaient même pas en 1960 (Bombardier, Provigo, CGI…) –, mais aussi, très souvent, leurs assises techniques et créatives, par opposition à la finance et la gestion, étaient davantage axées sur les relations interpersonnelles. Pensons aux grands cabinets de génie-conseil, aux start-ups dans le jeu vidéo et d’autres domaines informatiques, et qui ne cessent de se multiplier. 

La région a gagné quelque 110 000 emplois dans le secteur des services scientifiques, techniques et professionnels de 1996 à 2016.

Montréal s’est, en somme, réorienté vers des secteurs pour lesquels son nouveau visage francophone/bilingue s’avérait un atout, non pas un handicap. La concentration des vols à Dorval à partir de 1997, un choix politiquement difficile, lui enlève une autre épine du pied. Cependant, le véritable secret du renouveau réside dans l’heureuse rencontre entre: (a) une classe d’affaires et une force de travail fortement attachées à leur ville, la langue étant un facteur fort de rétention; (b) des coûts compétitifs et; (c) un niveau élevé de scolarisation, quoiqu’il reste du progrès à faire sur ce dernier point. Le point (a) donne à Montréal un avantage sur le plan des coûts salariaux, auquel s’ajoute la flexibilité (comparativement notamment à Toronto) de son marché immobilier, avec des prix plus bas. On oublie parfois le rôle du secteur immobilier dans la compétitivité de Montréal.

Nous sommes devant ce qui peut paraître un paradoxe, mais qui n’en est pas. Les événements à l’origine des années difficiles sont également ceux qui ont permis à Montréal de rebondir. 

Montréal est devenu la métropole des Québécois, leur métropole internationale. De cela découlent deux conséquences heureuses : toute entreprise qui naît au Québec, dépassé une certaine taille, regardera spontanément vers Montréal pour localiser son siège social ou ses bureaux de marketing international. Des jeunes formés, à l’école ou en entreprise, seront moins portés à partir vers d’autres métropoles que leurs vis-à-vis des autres provinces. Le résultat : pour le Québec et a fortiori pour Montréal, des investissements en éducation, dont l’acquisition d’une solide culture scientifique, sont à la fois plus essentiels et plus porteurs que sur le reste du continent. Ancrage (langue) et éducation sont les côtés de la même médaille.

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