De l’ anglais à Télé-Québec ?

Un groupe d’artistes anglophones demande que Télé-Québec diffuse 10 % d’émissions en anglais. Cette proposition sera étudiée par le CRTC dans le cadre de la révision de la licence de Télé-Québec. Autre débat à prévoir : Télé-Québec demande une modification de licence qui pourrait lui permettre, en théorie, de réduire son nombre d’émissions pour enfants au profit d’émissions pour ados. 

Un dossier de Vincent Brousseau-Pouliot

Une demande au nom de la « diversité québécoise »

Cinquante ans après sa création, Télé-Québec devrait-elle diffuser des émissions en anglais destinées à la communauté anglo-québécoise ?

L’organisme English Language Arts Network (ELAN), qui regroupe 6000 artistes anglo-québécois, croit que si. Et il suggère au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’imposer à Télé-Québec de consacrer 10 % de son budget et de sa programmation à la communauté anglo-québécoise, et un autre 10 % aux communautés autochtones et culturelles. En vertu de cette proposition, Télé-Québec diffuserait ainsi des émissions en anglais, qui pourraient aussi être sous-titrées en français.

ELAN estime que la « diversité québécoise » doit se « refléter » sur les ondes de Télé-Québec, la chaîne éducative financée par le gouvernement du Québec. « La télé québécoise est pas mal blanche et francophone, il y a des efforts à faire pour changer », dit Guy Rodgers, directeur exécutif d’ELAN, en entrevue à La Presse.

« Environ 10 % des Québécois sont des anglophones, Télé-Québec est la télévision éducative des Québécois, elle devrait représenter les anglophones autant que les francophones. »

— Guy Rodgers, directeur exécutif d’ELAN

Le gouvernement Couillard n’a pas voulu prendre position sur la proposition d’ELAN sur Télé-Québec. « Télé-Québec a pour mission de refléter les réalités régionales et la diversité de la société québécoise », a indiqué par courriel le cabinet de la ministre québécoise de la Culture Marie Montpetit.

Télé-Québec n’a pas souhaité commenter la proposition d’ELAN. La société d’État québécoise doit soumettre au cours des prochains jours au CRTC sa réplique visant l’ensemble des interventions – dont celle d’ELAN – au sujet du renouvellement de sa licence. Télé-Québec a déjà diffusé des émissions éducatives pour enfants en anglais de 1980 à 2002 – souvent l’après-midi.

« Établir un dialogue »

ELAN estime que sa proposition, qui a pour but d’« établir un dialogue » entre les communautés francophone et anglophone au Québec, « devrait être considérée sérieusement par le CRTC ». « On n’est pas là pour piquer une crise, on est là pour dire : le Québec a changé, est-ce qu’on peut en parler en public sur les ondes de Télé-Québec ? […] Le climat politique en 1968 était drôlement différent d’aujourd’hui », dit Guy Rodgers, qui précise que « les émissions sur les anglophones [ne seraient] pas forcément en anglais » et qu’elles pourraient « logiquement » être « tournées en anglais avec doublage et sous-titres [français] ».

Pour l’autre 10 % d’émissions consacrées aux communautés autochtones et culturelles, ELAN parle plutôt de « contenu reflétant » ces communautés – les émissions sur ces communautés pourraient donc être diffusées en français. « L’important, c’est d’établir un dialogue et de refléter ces communautés, de raconter leurs histoires, de les faire voir par la majorité [francophone] », dit M. Rodgers.

À l’appui de son point de vue, ELAN rappelle que les Franco-Ontariens ont la chaîne éducative francophone TFO et qu’à Montréal, la chaîne communautaire MAtv (propriété de Vidéotron/Québecor) consacre 20 % de son budget de programmation à la communauté anglophone. 

MAtv diffuse notamment trois émissions en anglais dans sa grille actuelle. Guy Rodgers précise aussi que la CBC et les chaînes privées anglophones ne s’intéressent pas beaucoup à la réalité de la communauté anglo-québécoise. « Je peux voir du contenu anglais à n’en plus finir, mais du contenu qui parle de notre communauté, de nos vies ici au Québec, il n’y en a pas beaucoup, dit-il. Ce serait juste logique, normal, d’avoir un endroit où on peut compter nos histoires comme Québécois, comme Anglo-Québécois. »

C’est la première fois qu’ELAN demande à une chaîne francophone – par l’entremise du CRTC – de diffuser des émissions consacrées à la communauté anglophone. « Les diffuseurs privés n’ont aucune prétention de refléter [la communauté anglo-québécoise], dit Guy Rodgers. Leur marché, ce sont les Québécois francophones. »

« Pas une courtepointe »

L’ex-PDG de Télé-Québec Michèle Fortin n’est pas d’accord avec la proposition d’ELAN de forcer le diffuseur public à consacrer une partie de sa programmation à des émissions en anglais sur la communauté anglo-québécoise.

« Que Télé-Québec reflète la réalité autochtone et anglophone, je n’ai pas de problème avec ça, bien au contraire. Mais [la programmation de Télé-Québec], ce n’est pas une courtepointe. […] Il y en a déjà eu, des émissions éducatives pour les écoles en anglais à Télé-Québec il y a 30-40 ans. Mais sur le plan de la diffusion, ça ne fait pas grand sens, ce n’est pas très efficace, il n’y aura pas d’écoute », dit Michèle Fortin, qui a été PDG de 2005 à 2015.

Michèle Fortin se rappelle avoir eu des demandes similaires de la part de groupes de producteurs anglophones durant son mandat de 10 ans à la tête de Télé-Québec. « Ils reviennent [avec cette demande], ils veulent de l’argent de production en anglais. Ce sont des producteurs anglophones du Québec, ils peuvent travailler pour le Canada au grand complet », dit Mme Fortin, qui souligne que les communautés autochtones peuvent compter sur la chaîne autochtone APTN, distribuée de façon obligatoire avec un abonnement télé.

Moins d’émissions pour enfants, davantage pour les ados ?

La PDG Marie Collin jure que ce n’est qu’un changement de licence pour avoir « de la latitude administrative ». Mais Télé-Québec demande tout de même que son engagement de diffuser 21 heures par semaine d’émissions pour enfants de 2 à 11 ans soit élargi aux adolescents afin de « rééquilibrer » sa programmation sur l’ensemble des 2 à 17 ans.

Dans son mémoire au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sur le renouvellement de sa licence, Télé-Québec veut que son obligation de diffuser 21 heures par semaine pour les enfants de 2 à 11 ans soit élargie aux « enfants et jeunes, soit les 2-5 ans, les 4-7 ans, les 6-8 ans, les 9-12 ans et les 13-17 ans ». « Ce qui reflète notre volonté de desservir l’ensemble des enfants et des jeunes et de rééquilibrer en conséquence la répartition de notre programmation entre ces cinq groupes d’âge, dans un environnement où l’offre d’émissions pour les 2 à 11 ans s’est considérablement accrue avec l’entrée en scène de Yoopa, de Télémagino et de Disney, la chaîne », peut-on lire dans le mémoire.

En entrevue à La Presse, la PDG de Télé-Québec Marie Collin est toutefois catégorique : malgré le changement demandé à sa licence, Télé-Québec n’a pas l’intention de consacrer davantage de ressources à un auditoire adolescent au détriment de son auditoire jeunesse (2 à 11 ans).

« Ce n’est pas du tout l’intention liée à ça, c’est pas mal [plus] administratif qu’autre chose, dit Mme Collin. On voulait s’arrimer aux mesures fiscales et aux fonds [de financement]. On n’a pas du tout l’intention de quitter les 2-11 ans, on sait le rôle important qu’on a à jouer auprès des enfants. On a demandé de la latitude administrative pour refléter ce qu’on a toujours fait [certaines émissions pour les 9 à 12 ans touchent en pratique les 13 et 14 ans]. Nous sommes une chaîne publique et nous n’irons pas vers les 13-17 ans, nous n’en avons pas les moyens financiers. La jeunesse est tellement découpée, on ne peut pas répondre à toutes les clientèles et on ne fait pas de concessions sur la qualité. »

Appui des producteurs

Environ 41 % de la grille et 30 % du budget de programmation de Télé-Québec sont consacrés aux 2 à 17 ans. « L’essentiel de notre budget de programmation jeunesse va à nos trois émissions pour le préscolaire [Salmigondis], les 6-10 ans [Cochon dingue] et les 9-12 ans [Conseil de famille]. Nous ne voulons pas aller vers les 13-17 ans, mais nous voulons être capables de faire un [gala] Mammouth [pour les 13-17 ans] de temps en temps », dit Mme Collin.

L’Association québécoise des producteurs médiatiques (AQPM), qui représente les producteurs télé, appuie la demande de modification de Télé-Québec, mais à la condition que la chaîne augmente sa grille d’émissions canadiennes pour enfants à 30 heures par semaine.

Télé-Québec demande une nouvelle licence de sept ans au CRTC, qui accorde généralement des licences de cinq ans.

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