Essais

Considérer l’autre

Une rubrique qui attire votre attention sur les dernières parutions d’essais, de biographies, etc.

La philosophie est à la mode, et nombreux sont les philosophes qui vulgarisent leur savoir en pigeant dans les classiques pour répondre aux questions existentielles du public.

À l’ère des réseaux sociaux et de la consommation à outrance, beaucoup se demandent : Pourquoi est-ce que je me lève le matin ? Ma vie a-t-elle un sens ?

De Luc Ferry à Frédéric Lenoir, les philosophes ont tous leur mode d’emploi pour une vie réussie.

Comme dans d’autres domaines, les femmes sont moins nombreuses que les hommes. Parmi les plus connues, il y a l’Américaine Martha Nussbaum (qui a publié l’an dernier un livre sur le « bien vieillir »). Et il y a la Française Corine Pelluchon qui publie ces jours-ci Éthique de la considération, un plaidoyer pour une « vie bonne » basée sur le respect de toutes les espèces, pas seulement humaines. Décryptage d’un livre passionnant.

Qui est Corine Pelluchon ?

Philosophe, professeure à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée, spécialiste de la bioéthique et militante pour la cause animale. Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Les nourritures (2015) et Manifeste animaliste (2017). Pelluchon s’inscrit dans le courant de l’éthique des vertus, qui revient en force ces années-ci. Ce courant insiste sur l’importance des qualités d’un individu comme la sagesse, l’honnêteté, la justice, etc. Si on résume grossièrement, l’éthique des vertus suppose qu’en développant nos qualités (qui sont des forces morales), nous pourrons mener une vie bonne.

Quel est le constat de Corine Pelluchon ?

Son constat sur la société actuelle n’est pas tendre. « La satisfaction immédiate et le bien-être matériel sont souvent, de nos jours, les seules aspirations des individus. Cette situation a laissé toute la place au marché et à l’économisme : les individus n’ont pas d’autre horizon que la consommation et ils perdent peu à peu le sens de ce qui les relie aux autres. Cette dimension purement individuelle de leur existence et le fait que l’argent et la recherche des honneurs sont érigés en souverains biens expliquent en grande partie les frustrations des êtres et l’absence d’harmonie sociale. »

Selon la philosophe, une guerre se joue à l’intérieur des individus, car ils adoptent des comportements qu’ils savent néfastes. Militante antispéciste, elle donne souvent l’exemple de la réaction des gens à la cruauté envers les animaux. Ils ne tolèrent pas de voir un animal souffrir, mais n’ont aucun scrupule à manger des animaux qui ont été abattus dans des conditions atroces. Il faudrait pouvoir résoudre ce conflit en faisant des gestes en accord avec nos principes.

Que propose la philosophe ?

Nous vivons dans un monde basé sur le principe de la domination, selon Corine Pelluchon. La domination de l’humain sur l’animal, du riche sur le pauvre. La philosophe propose de briser cet ordre et de développer plutôt une solidarité qui liera notre épanouissement à celui des autres espèces, une nouvelle manière de vivre (ou contrat social) basée sur la considération de soi, des autres et de notre environnement. En gros, l’être humain doit absolument reconnaître et comprendre qu’il est une partie intrinsèque de l’environnement dans lequel il vit. Il doit également comprendre qu’il est le maillon d’une chaîne humaine qui a débuté avant sa naissance et qui se poursuivra après sa mort. Reconnaissant cela, il réfléchira et prendra des décisions qui tiendront compte de l’impact sur les autres et sur l’environnement. Il faut, insiste la philosophe, reconnaître les liens qui nous lient au reste de l’écosystème non pas de manière intellectuelle, mais bien en les ressentant physiquement et avec empathie. En faisant preuve de vulnérabilité. Ainsi, croit-elle, nous serons capables de considération pour les autres.

Pourquoi lire ce livre ?

Si on s’intéresse à la philosophie et à l’éthique comme mode de transformation de soi, il faut absolument lire ce livre. Oui, c’est une lecture costaude et certains concepts sembleront peut-être plus abstraits au lecteur. Mais Éthique de la considération demeure une lecture riche et, surtout, totalement en phase avec son époque.

Éthique de la considération

Corine Pelluchon

Seuil

281 pages

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Il n’y a pas si longtemps que l’histoire s’intéresse aux citoyens « ordinaires », aux invisibles, à ceux qui travaillent dans les coulisses. Dans cet essai, l’historienne féministe Catherine Charron met en relief la parole des travailleuses domestiques de la deuxième moitié du XXe siècle. Ces femmes racontent leur quotidien de gardienne d’enfants, de femme de ménage, d’aide à domicile. Leur vie n’est pas glamour et rime souvent avec manque de considération, exploitation et précarité. À travers leurs récits – recueillis et commentés par l’historienne –, on voit se dessiner les contours d’une mécanique qui reproduit des inégalités entre les sexes et les classes sociales. Il y est question de compétence, de reconnaissance, de fragilité économique. Une réalité qui doit être entendue et mieux comprise.

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L’élan vers l’autre – Chroniques parues dans L’Itinéraire, 2014-2107

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Un pied devant l’autre ou Comment survivre au 21e siècle grâce à la marche

Dan Rubinstein

Québec Amérique

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