Opinion

Monsieur Fisher doit se retourner dans sa tombe…

Le mathématicien Fisher, se basant sur les enseignements de Pascal et Fermat, a édicté les principes qui régissent les probabilités, démontrant qu’un fait a une chance aléatoire de survenir et que cette possibilité est réduite en augmentant le nombre d’observations faites en posant répétitivement la même question.

En essence, il a aussi défini qu’en respectant des règles scientifiques, il était probablement acceptable de convenir que la démonstration qui est faite en évaluant un échantillon représentatif est réelle et le risque qu’elle soit fausse est réduit à sa plus simple expression, soit minimalement inférieure à 5 %. Pour reprendre une expression populaire, quand on prétend qu’un fait « est une évidence », sachons qu’il y a des moyens de prouver cette évidence.

C’est ce genre de démonstrations qui permet aux scientifiques de dire que des phénomènes climatiques surviennent à une fréquence anormale, que des thérapies médicales sont supérieures à d’autres, que l’on peut assurer la sécurité et la fiabilité de produits qui sont utilisés au quotidien.

Cependant, ce début de siècle a favorisé l’émergence de forces qui n’admettent pas ce que la science offre pour permettre à l’humanité d’évoluer.

Il y a ceux qui remettent en question les changements climatiques, ceux qui nient les données médicales probantes permettant de vivre mieux ou plus longtemps, laissant place à des croyances et des passions qui oublient le rationnel au profit de l’émotion. La primauté des droits individuels a généré l’illusion de savoir en tout et pour tout ce qui est bon pour soi et ses intérêts spécifiques. On confond donc choix personnels avec une méconnaissance de faits ou une interprétation biaisée de données spécialisées.

Pourquoi nie-t-on les changements climatiques, les avancées médicales ? Pourquoi décide-t-on de prendre des produits parce qu’on y croit sans plus de preuve ? Une étude récente dans JAMA Oncology a démontré que les patients souffrant d’un cancer et qui prennent des thérapies alternatives non prouvées ont une probabilité de décès plus grande et refusent aussi plus souvent les thérapies conventionnelles. Qu’est-ce qui pousse à agir ainsi et aussi à vouloir convaincre son entourage de ses croyances ?

Quand le discours contredit la science

Qu’on le veuille ou pas, la tolérance qui caractérise nos sociétés apporte le bon côté d’accepter les différences entre les individus, mais a aussi favorisé l’émergence de discours qui vont à l’encontre de la science, qui elle aussi évolue, se remet en question et produit de nouvelles données au quotidien.

Notons que notre système de gouvernement permet justement de diriger par passion plutôt que par raison.

La belle ligne bien sentie est préférée au discours visant à renseigner et éduquer la population. Plutôt que de laisser à des experts la latitude pour diriger et implanter des programmes sociaux ou des infrastructures, on laisse à des ministres politiciens passagers le loisir de diriger plutôt que de se concentrer à établir des priorités et de rédiger des lois qui les confirment.

Certes, la démocratie et le droit d’expression sont des pouvoirs généralement positifs, mais il faut collectivement se poser la question des mesures à prendre pour contenir la dérive morale qui tend à dénigrer la valeur des experts et des gestionnaires expérimentés au profit du populisme. De fait, la sagesse collective peut être affectée par des influences extérieures en mesure d'agir sur elle négativement.

Le Québec entre en période électorale, et il y a fort à parier que les discours, ponctués de promesses, soient aussi parsemés de vérités nouvelles, d’affirmations assurées, de faits difficilement vérifiables et de déni de la valeur de gens dont le Québec a besoin pour avancer et évoluer. Ils sont loin, les René Lévesque et Robert Bourassa qui avaient la capacité de développer leur pensée pour gagner les votes non seulement par la passion, mais aussi par la rationalité de leur propos.

De même, le Québec doit retrouver des programmes d’information qui ne sont pas que des chroniques et des éditoriaux continuels où les analystes prédisent les conséquences politiques plutôt que de laisser place à des experts de la société civile en mesure de correctement situer les promesses faites et les impacts attendus sur la population. Et croyez-le, il y a plusieurs experts de la sorte qui n’ont pas de parti pris et qui sont aptes à aider les citoyens à faire des choix démocratiques avisés.

La révolution des communications, dans son développement actuel, laisse malheureusement trop de place à l’anecdote amusante ou irritante qui suscite une réaction viscérale au détriment de la mise en contexte de ce qui constitue le tissu social. La science et les statistiques sont là pour nous permettre de scruter notre société, de détecter l’émergence de faits nouveaux et de permettre à nos dirigeants de réviser nos lois et programmes en conséquence.

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