Vos finances

Nouvelle famille, grosse facture

Marianne Fortier a trouvé l’amour, mais elle en a payé le prix : près de 4500 $ par année.

C’est le montant que la mère monoparentale de deux jeunes enfants a perdu en prestations gouvernementales d’aide aux familles quand elle a emménagé avec son nouveau conjoint, additionné à ce qu’elle paie en frais supplémentaires de garderie.

Pourquoi ? Parce que le calcul des prestations pour enfants se fait sur la base du revenu familial, même si le nouveau conjoint n’a pas d’obligations financières envers la progéniture de sa nouvelle flamme et que, surtout au début d’une relation, il ne contribue généralement pas aux dépenses reliées aux enfants.

Marianne Fortier continue donc de payer la moitié des frais pour ses deux garçons, dont elle assume la garde en alternance avec leur père, et la moitié des frais pour sa petite dernière, avec son nouveau conjoint. Son revenu n’a pas augmenté, les dépenses pour les marmots n’ont pas diminué, mais l’aide qu’elle reçoit des gouvernements fédéral et provincial a été coupée de moitié.

« Graduellement, mon conjoint consacre de plus en plus de temps et d’argent à mes enfants, mais il faut un certain temps pour s’ajuster, souligne la Montréalaise de 37 ans. Quand il y a des dépenses pour mes fils, que ce soit des vêtements, des activités ou des fournitures scolaires, je paie moitié-moitié avec leur père, dit la mère. Mon conjoint n’a pas à contribuer. Et la semaine où mes garçons sont à la maison, je paie une plus grosse partie de l’épicerie. »

Une nouvelle facture l’attend au détour : la modulation des tarifs des services de garde en fonction du revenu familial fera augmenter sa facture à plus de 12 $ par jour pour le CPE de son plus jeune fils, Gabriel, 4 ans. Le père de l’enfant et elle paient chacun la moitié de la facture. « Mon ex-conjoint a le même revenu que moi. Pourtant, il paie 8 $ par jour, pour le même enfant », déplore Marianne Fortier. Une différence d’environ 400 $ par année.

« TAXE À LA RECOMPOSITION FAMILIALE »

La jeune mère est victime de ce que certains experts appellent la « taxe à la recomposition familiale ». Le fisc fait fi de la réalité des familles recomposées, de plus en plus nombreuses, en se basant sur le revenu familial, après un an de cohabitation, pour calculer l’aide à verser en soutien aux enfants, souligne Hélène Belleau, professeure de sociologie à l’INRS et spécialiste de l’usage de l’argent dans les couples.

« En utilisant le revenu familial, le gouvernement présume que les ménages mettent leur argent en commun, dit-elle. Mais beaucoup de couples ne gèrent pas leurs finances conjointement, surtout les ménages recomposés. »

Selon une toute récente étude de Mme Belleau, dont les données ne sont encore publiées, 75 à 80 % des familles recomposées ne partagent pas les dépenses des enfants. Chaque parent paie pour les siens, généralement en partageant la facture avec l’autre parent, mais sans contribution du nouveau conjoint. « Les frais pour les vêtements, les médicaments et la garde des enfants tombent dans la catégorie des dépenses personnelles du parent, dans les ménages recomposés », observe la chercheuse.

« Dans certains cas, un parent peut perdre presque tout le soutien gouvernemental pour les enfants. Le nouveau conjoint ne va pas nécessairement compenser ma perte, alors ce sont les enfants qui risquent de subir les conséquences de ces règles de calcul. »

— Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations des familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)

« Généralement, ce n’est pas pour des questions d’argent qu’on se remet en couple. Mais on se rend compte après de l’ampleur des conséquences financières », ajoute-t-elle. La cohabitation peut permettre d’économiser en frais de logement, mais puisqu’il faut souvent un foyer plus grand, ces économies ne sont pas toujours aussi importantes que les pertes subies.

Pour contourner ces désavantages, certains ménages recomposés donnent des adresses différentes. Mais ils s’exposent à des pénalités si le fisc s’en rend compte.

« Il faudrait que l’aide gouvernementale aux familles soit vraiment basée sur le coût des enfants, et accordée en fonction du revenu individuel », avance Mme Lévesque.

« Des couples sont déjà venus me consulter avant de s’installer avec un nouveau conjoint, raconte Josée Jeffrey, fiscaliste et planificatrice financière, de Focus retraite et fiscalité. Dans un cas, la dame subissait une perte de 10 000 $. Elle a décidé de ne pas déménager. »

RECOMPOSITIONS EN HAUSSE

Il y aurait 16 % de familles recomposées au Québec, selon les données officielles. Mais elles seraient en réalité beaucoup plus nombreuses. À l’âge de 8 ans, 31 % des enfants ont déjà vécu la séparation de leurs parents, expliquent les démographes Céline Le Bourdais et Évelyne Lapierre-Adamcyk, dans le rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille, déposé en juin dernier.

« La hausse de la monoparentalité jointe à une diminution de l’âge des enfants lorsqu’ils voient leurs parents se séparer fait en sorte qu’un nombre croissant d’entre eux connaîtront la vie en famille recomposée », écrivent-elles. À l’âge de 6 ans, la moitié des enfants de parents séparés avait déjà vécu en famille recomposée. Avec le temps, cette proportion continuera d’augmenter au rythme des séparations et des remises en union.

C’est pourquoi plusieurs demandent au gouvernement de se pencher sur cette question. En 2008, le défunt Conseil de la famille et de l’enfance avait recommandé au gouvernement de prolonger la période de cohabitation nécessaire avant que les conjoints soient reconnus « conjoints fiscaux », mais cette recommandation est restée lettre morte.

Conjoints de fait

Selon la loi fiscale fédérale, les membres d’un couple sont immédiatement considérés comme conjoints de fait s’ils vivent ensemble et qu’ils sont parents d’un enfant, et après un an de vie conjugale en l’absence de progéniture commune. Au palier provincial, la règle est la même. Seules les périodes de rupture conjugale de plus de 90 jours viennent interrompre la période de reconnaissance des 12 mois.

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