médecins québécois

Résistants au changement, vraiment ?

Gaétan Barrette soutient que les médecins du Québec font de la « résistance au changement », ce qui expliquerait que leur pratique soit moins informatisée qu’ailleurs. Vraiment ?

Comme lui, de nombreux médecins ont réagi au sondage de l’Association médicale canadienne (AMC) dont les résultats ont été rapportés dans La Presse, hier. Et il se trouve qu’ils donnent parfois raison au ministre sur ce sujet, mais jugent qu’il a plus souvent tort*.

Le radiologue Alexandre Lamarre, de l’hôpital du Sacré-Cœur, soutient que les cliniciens rêveraient d’avoir des dossiers informatisés comme c’est le cas avec les radiologies.

« Seules les données de laboratoire sont informatisées, les dossiers médicaux sont encore manuscrits. Un patient X va avoir autant de dossiers manuscrits que d’hôpitaux visités, et cela cause beaucoup de maux de tête à mes collègues cliniciens. L’information est éparpillée », écrit-il.

« En radiologie, les dossiers ont été centralisés. J’ai accès à toute l’imagerie des patients faite au Québec (quand le patient vient faire une radiologie ici). Cela me permet de faire des comparaisons et de voir que certains patients passent souvent le même examen dans plus d’un hôpital, probablement parce que leur médecin ne le sait pas, puisque lui n’a pas accès à un dossier centralisé. »

Intéressant, n’est-ce pas ?

Autre réaction, cette fois du médecin de famille David Beaulieu, de Grand-Mère (Shawinigan), en Mauricie, qui veut prendre sa retraite avant longtemps. Il dit utiliser le dossier médical informatisé (DME) depuis trois ans, mais son manque d’habileté en informatique lui fait perdre du temps.

« Plusieurs médecins de ma génération, qui ont les plus grosses clientèles, ont décidé de ne pas utiliser le DME. C’est complexe et je suis trop lent au clavier. Il y a plusieurs fournisseurs, ce qui ajoute à la complexité quand on passe d’un site de pratique à un autre », dit essentiellement M. Beaulieu.

« C’est moins long pour moi de faire une requête papier qu’informatique. Par contre, les plus jeunes sont très efficaces et le passage au DME est inévitable. »

— Le médecin de famille David Beaulieu

Sur ce même sujet, un médecin d’expérience d’une grande polyclinique de la région de Montréal critique vivement les exigences du ministère de la Santé et des Services sociaux quant à l’utilisation d’un logiciel spécifique.

« À la polyclinique, nous avions un logiciel créé pour répondre à nos besoins. Il était extrêmement facile d’utilisation, indexé selon la date, le médecin, la spécialité, etc. Il me permettait de consulter les résultats à distance, de préparer mes demandes de consultation ou d’examens de laboratoire et d’imagerie, de rédiger mes ordonnances et de rappeler mes patients de la maison. De plus, il était partagé par les omnipraticiens et les divers spécialistes.

« Or, le gouvernement a exigé que nous adoptions un de ses logiciels. Résultat : un beau logiciel moins efficace, mal indexé, avec des délais de traitement des consignes beaucoup plus longs, l’impossibilité de le consulter s’il y a une rupture du lien informatique, l’étanchéité absolue entre ce logiciel et l’ancien (que continuent d’utiliser mes collègues spécialistes), un fournisseur trop gros et inattentif aux besoins exprimés par ses clients, etc.

« Bref, une belle idée qui m’a fait perdre environ 20 % de ma productivité antérieure », écrit le médecin, qui veut garder l’anonymat.

Voyant cela, ajoute-t-il, il est réticent à se doter du logiciel de prise de rendez-vous à distance (RVSQ) exigé par le Ministère… 

« C’est toujours la même chose : on ne reconnaît pas l’expertise des gens du terrain et on impose plutôt la vision étroite des fonctionnaires. »

— Un médecin d’expérience qui a requis l’anonymat

Ouch…

Par ailleurs, des lecteurs font ressortir d’autres éléments pour expliquer le moins grand volume de patients de nos médecins. « Si les médecins du Québec font plus d’hôpital, c’est normal qu’ils voient moins de patients, car les patients hospitalisés en médecine générale sont plus malades que ceux vus au bureau (gériatrie, soins palliatifs, etc.) », dit Sophie Courchesne, médecin de famille de Drummondville.

Selon elle, le vieillissement de la population, plus important au Québec, allonge la durée des rencontres. « Au début de ma pratique, en 1994, je voyais en moyenne 30 patients par quart de 8 heures à l’urgence. Maintenant, entre 15 et 20. Patient typique âgé, confus, patient âgé anticoagulé qui a fait une chute, etc. C’est plus long que de régler un mal de gorge, ça… », dit la Dre Courchesne, qui dénonce la paperasserie quotidienne.

L’information d’un autre lecteur est à contre-vérifier, mais je vous en fais part tout de même. « Ma belle-sœur médecin travaille au Tennessee. On l’oblige à un temps de 6 minutes max par patient. Moi, quand je rencontre mon médecin, on en a pour un minimum de 25 minutes. »

Imaginez l’impact sur la qualité…

Enfin, la lectrice Diane Parent me décrit la situation rêvée : « À la clinique de l’Université d’Ottawa, tout est informatisé. La prise et la confirmation (ou l’annulation) d’un rendez-vous se font par courrier électronique. Mon médecin inscrit dans son ordinateur toute information me concernant, transmet par ordinateur les tests en hôpital ou les demandes de consultation des spécialistes. Et même les ordonnances chez le pharmacien se transmettent en ligne. Je peux voir mon médecin dans les deux semaines d’une demande de rendez-vous. Et si elle n’est pas libre, c’est une infirmière praticienne qui me reçoit. »

On est loin du « fax » (télécopie), encore trop souvent utilisé ici…

*Nous avons quelque peu reformulé et synthétisé les propos écrits des lecteurs, notamment ceux de David Beaulieu.

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