Immigration

« Ils perdent tous leurs repères »

Pour le commun des mortels, les jeunes de la rue ont tous le même visage. Mais pour les intervenants qui œuvrent directement auprès de cette clientèle, la réalité est beaucoup plus complexe. Et se dote de nouvelles embûches jour après jour.

« Nous observons depuis quelque temps un plus grand nombre de jeunes immigrants fraîchement débarqués à Montréal qui, pour diverses raisons, se retrouvent dans la rue, explique Cécile Arbaud, directrice générale de l’organisme Dans la rue. On ne voyait pas cela il y a quelques années. »

Le cas typique est celui d’un jeune que les membres de la famille « élisent » pour venir étudier à Montréal. Les économies de la famille servent à financer cette opération. Le jeune subit alors une énorme pression. Pour différents motifs (barrière de la langue, choc culturel, maladie mentale, etc.), il rencontre un échec scolaire et, privé d’argent, se retrouve à vivre dans la rue.

« Ces jeunes viennent la plupart du temps du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest ou d’Haïti, raconte Maude Pellerin, intervenante et chef de première ligne pour l’organisme Dans la rue. Pour les membres de sa famille, il est le prodige qui va les sauver. On choisit bien souvent un domaine d’études que le jeune n’apprécie pas. Après les premiers échecs, il craque et c’est la fin du rêve. »

« Mais ce qui est le plus affreux là-dedans, c’est le sentiment de honte qui habite ensuite le jeune. Il n’ose plus retourner dans son pays auprès des siens. Il se retrouve à leur mentir, à leur cacher cette réalité. »

— Maude Pellerin, de l’organisme Dans la rue

Les jeunes immigrants qui vivent cette terrible épreuve connaissent parfois une psychose passagère. « Ils perdent tous leurs repères, dit Maude Pellerin. Comme ils n’ont souvent qu’un simple statut d’étudiants étrangers, peu de ressources s’offrent à eux. C’est la panique. »

Au bureau montréalais du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), on observe un autre phénomène, également en émergence. « On voit des jeunes parrainés et abandonnés par leur famille d’accueil, dit Denise Otis, conseillère juridique pour l’organisme. Ils se retrouvent alors dans une situation à risque. On parle beaucoup d’intégration et d’accueil par les temps qui courent. Ce phénomène, même s’il est petit pour le moment, est à surveiller de près. »

OUTILLER LES INTERVENANTS

Les intervenants qui travaillent auprès des jeunes de la rue sont appelés à jouer plusieurs rôles auprès d’eux. Le cas des immigrants ou des réfugiés qui vivent une situation d’itinérance pose un défi particulier. Les intervenants n’ont pas toujours les connaissances et les contacts pour bien les aiguiller.

« Je passe un temps fou à tenter de joindre des avocats ou des organismes qui pourraient leur venir en aide », dit Maude Pellerin.

Dans ce contexte, l’Association du jeune Montréal propose une solution qui pourrait bien faire école. Les responsables ont eu l’idée de demander aux professionnels du Haut Commissariat des Nations unies d’offrir une formation aux intervenants sociaux de l’organisme Dans la rue qui font face à ces nouvelles réalités. Ce projet sera financé par un événement-bénéfice qui aura lieu le 19 mai prochain (voir le dernier onglet).

« Bien sûr, chaque cas est unique, explique Denise Otis. Ce qui nous intéresse là-dedans, ce sont les cas qui tombent dans les fentes du plancher. Je crois que nous pouvons aider les organismes sociaux. Il faut toutefois souligner qu’au HCR, on traite surtout des dossiers de gens qui ont besoin de protection internationale. Cela dit, nous allons mettre les intervenants en lien avec des professionnels qui évoluent dans les matières compétentes. »

Pour le moment, le projet vise uniquement l’organisme Dans la rue, mais Denise Otis n’écarte pas l’idée qu’il puisse s’étendre à d’autres organismes dans un avenir rapproché.

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