OPINION

Les bénéfices cachés de la réforme fiscale Trump

Un an après l’entrée en vigueur des réductions d’impôt – passées de 35 à 21 % – de la réforme fiscale Trump, la plupart des grandes sociétés américaines ont produit leur rapport annuel pour l’exercice financier incluant cette réforme. Leur analyse révèle des informations fascinantes.

Les 20 plus grandes sociétés américaines ont ainsi pu réaliser, grâce à elle, un revenu instantané de près de 75 milliards. Ensemble, ces multinationales avaient précédemment accumulé des comptes d’impôts différés de 230 milliards. Après la réforme, cette somme ne se renverse plus à un taux de 35 %, mais bien de 21 % et la différence – les 75 milliards en question – augmente les résultats nets de ces sociétés pour l’année de la réforme. Ce qui n’a pourtant rien à voir avec la croissance économique et la création d’emplois. En réalité, c’est une augmentation des résultats nets pour les multinationales et les actionnaires, mais une perte nette pour les contribuables.

Ce revenu instantané est présenté tel quel dans les rapports annuels et porte souvent le nom « avantage fiscal constaté lié à la réévaluation des soldes d’impôts différés ». Il ne s’agit pas d’un revenu étalé sur les prochaines années, provenant du fait que les multinationales auraient moins d’impôt à payer sur leur revenu futur. Non : c’est 75 milliards réalisés immédiatement cette année, découlant du fait que ces sociétés auront moins d’impôt à payer sur des revenus réalisés avant la réforme, et dont la facture d’impôt est différée dans le futur.

Les impôts différés des multinationales sont un peu similaires à ceux des particuliers qui auront à payer un impôt au moment d’encaisser les sommes accumulées dans leur régime de retraite, lesquelles faisaient l’objet d’une déduction fiscale pendant qu’ils avaient des revenus de travail. C’est évidemment d’une tout autre ampleur dans les multinationales.

JP Morgan Chase et Wells Fargo, deux sociétés qui ont recouru au plan de sauvetage américain lors de la crise de 2008 en profitant d’une aide de 25 milliards chacune, viennent de recevoir un autre coup de pouce, cette fois-ci non remboursable, qui réduit leur compte d’impôt reporté de 2 et 3,7 milliards respectivement.

Berkshire Hathaway, qui valait 65 milliards au début de 2018, vient de bénéficier d’une réduction de son solde d’impôts différés de 28 milliards.

AT & T, dont le PDG Randall Stephenson avait déclaré que « cette réforme fiscale va créer de la croissance et des emplois » et qui avait payé des bonis totalisant 200 millions à ses employés en décembre 2017, vient de profiter d’une réduction de ses impôts différés de 20 milliards.

Parmi les 100 plus importantes sociétés publiques américaines, environ 25 % ont des soldes d’impôts différés à l’actif (et non au passif) et, avec la réforme Trump, ces sommes vont également être renversées à un taux de 21 % (au lieu de 35 %), si bien qu’elles recevront moins d’impôt dans le futur que les sommes enregistrées à leur bilan.

Pour elles, la réforme représente donc une perte en rapport avec les impôts reportés. Par exemple, la société Lowe’s – une chaîne de distribution américaine spécialisée dans le matériel de construction et de jardinage, et possédant 1475 magasins – qui avait un solde d’impôts différés à recevoir de 200 millions avant la réforme, a réalisé une perte de 56 millions à la suite de l’ajustement au taux d’imposition de 21 %.

Quant aux PME, elles ne profitent pas autant des impôts différés et le compte n’est pas présenté dans le bilan de plusieurs d’entre elles.

Quel est le rapport avec le Canada ? À l’heure actuelle, les taux d’imposition des sociétés y sont de 27 % (incluant 12 % en moyenne dans les provinces), de 25 % aux États-Unis (incluant 4 % en moyenne dans les États) et de 25 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Le Canada pourrait songer à réduire son taux d’imposition à 25 % pour rester concurrentiel à l’échelle mondiale. Toutefois, au lieu de tomber dans le cercle vicieux de la concurrence internationale, d’abaisser davantage les taux d’imposition pour retrouver son avantage fiscal antérieur à la réforme Trump et de perdre des recettes fiscales, le ministre des Finances pourrait donner une chance à la coopération et considérer la possibilité d’adopter le régime d’imposition GILTI (Global Intangible Low-Taxed Income), nouvellement en vigueur aux États-Unis, et qui fonctionne comme un impôt minimum visant les contribuables qui évitent de payer des impôts en détenant des actifs incorporels, tels des brevets, dans des pays à faible imposition.

Le ministre des Finances du Canada a donc le pouvoir de faire en sorte que, partout en Amérique du Nord, les multinationales soient contraintes de payer un minimum d’impôt lorsqu’elles font de l’évitement fiscal international en manipulant les intangibles.

Ce peut être un bon départ et, sait-on jamais, l’Europe pourrait suivre… En collaboration avec la France, le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a récemment proposé à l’OCDE de considérer un impôt minimum mondial sur les sociétés. Lors de la conférence TaxCOOP2018 tenue le mois dernier, le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans, a considéré l’initiative intéressante.

Dans l’univers complexe de la fiscalité internationale, ne soyons pas intimidés par la concurrence. Des solutions existent pour en contrer les effets ravageurs. Elles supposent toutefois une coopération soutenue. Et le Canada, s’il en a la volonté politique, peut très bien faire figure de leader dans cette voie.

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