Chronique

Pas toutes riches comme Caitlyn Jenner

Le scripteur d’humour Stéphane St-Denis a connu des années fastes dans le showbiz québécois. Il a écrit, de 2000 à 2010, pour Les boys, Histoires de filles, Les Parent, La petite séduction, Le sketch show, Fun noir et a collaboré avec des humoristes populaires tels Martin Matte, les Grandes Gueules, Laurent Paquin et Rachid Badouri.

Un salaire annuel de 260 000 $ a même été imprimé sur son meilleur T4. Bref, ça roulait à fond la caisse pour Stéphane St-Denis, qui jonglait avec quatre ou cinq émissions en même temps, bossant quasiment sept jours par semaine.

Aujourd’hui, Stéphane St-Denis vit de l’aide sociale et ne parvient pas à décrocher un emploi de caissier chez McDo ou de femme de ménage. Sa vie est partie en vrille à la suite d’un coming-out de transgenre, qu’il a fait à ses collègues de la sitcom Bienvenue aux dames de Peter MacLeod, en 2010.

« Sans être habillée en femme, je leur ai annoncé que dorénavant, j’allais porter le nom d’Huguette et que j’entreprenais des démarches pour changer de sexe. Les réactions ont d’abord été fantastiques et super positives », se souvient Huguette St-Denis, qui, après avoir été rousse, porte maintenant ses cheveux blonds.

Malgré tout le soutien exprimé, le téléphone d’Huguette n’a plus jamais sonné après cette sortie du placard, à part pour quelques minuscules contrats. « J’ai travaillé comme un fou, comme une folle, pendant 10 ans et tout s’est arrêté d’un seul coup », se désole-t-elle aujourd’hui.

Huguette St-Denis, 50 ans, vit sa transformation complètement à l’opposé de celle, ultra glamour, de Caitlyn Jenner, 65 ans, dont le corps et le visage ont été sculptés à coups de nombreuses chirurgies esthétiques très coûteuses.

Avec son maigre chèque mensuel, Huguette St-Denis joint rarement les deux bouts et se nourrit souvent dans des banques alimentaires de Saint-Hyacinthe, où elle habite dans un logis modeste.

Alors, l’électrolyse pour les poils de son visage, elle en rêve en se rasant jusqu’à deux fois par jour pour venir à bout de sa barbe forte. Et l’augmentation mammaire, que le gouvernement ne rembourse pas, impossible de se l’offrir, à moins de vendre un rein sur le marché noir. Je blague à peine.

« Si j’avais de l’argent, je pourrais être une femme qui passe inaperçue. »

— Huguette St-Denis

Le chemin vers l’acceptation, emprunté en 2010, a été ardu : dépression majeure, tentative de suicide, hospitalisation en psychiatrie. Depuis un an, Huguette St-Denis absorbe des hormones pour préparer son corps à la vaginoplastie qu’elle devrait subir en janvier prochain. Mais avant de faire le grand saut, elle a vécu seule à Blanc-Sablon – où elle a enseigné le français, mais en tant que Stéphane St-Denis – pour réfléchir, entre autres, à son couple.

La femme d’Huguette, avec qui elle vit depuis 31 ans, a choisi de demeurer à ses côtés. « Nous sommes demeurés un couple, même si nous n’avons plus de relations sexuelles. Je n’ai plus d’érection à cause des hormones. Mon pénis est à la veille de rentrer par en dedans. C’est certain que ma conjointe, qui n’est pas lesbienne, est triste de perdre son mari », raconte Huguette St-Denis.

Les trois enfants d’âge adulte d’Huguette, âgés de 26, 25 et 20 ans, l’acceptent, même si c’est loin d’être évident au quotidien. « Mon plus jeune est un peu gêné quand on sort en famille », glisse Huguette St-Denis.

L’apparence physique demeure une préoccupation importante pour les transgenres. Après la prise de photos pour La Presse, Huguette s’est d’ailleurs inquiétée : « J’espère que je ne paraîtrai pas trop mal, étant donné que je n’ai pas les moyens de Mme Jenner. Ma fille m’a maquillée et ma conjointe m’a coiffée. »

L’auteur Louis-Philippe Rivard, qui avait embauché Stéphane St-Denis sur la comédie Bienvenue aux dames du réseau V, se souvient très bien de l’annonce d’Huguette il y a cinq ans. « Stéphane nous avait envoyé une lettre très touchante pour nous expliquer sa démarche. Au travail, il était super efficace, très rapide. Je l’aurais repris sans problème si j’avais eu d’autres émissions de télé », indique le scénariste Louis-Philippe Rivard.

Le producteur (et ex-membre des Cyniques) André Dubois a aussi tenté de développer divers projets télé avec Stéphane St-Denis, dont un intitulé Le papillon, qui plongeait dans l’univers d’un père transgenre, exactement comme dans la série Transparent des studios d’Amazon. Rien n’a cependant fonctionné. « Il avait du talent et beaucoup d’idées. C’est quelqu’un de très intense, qui m’a longtemps fasciné. J’ai essayé de l’engager et de lui donner un coup de pouce, mais à ce que j’avais compris, il s’était retiré du milieu », souligne André Dubois.

Huguette St-Denis ne se berce plus d’illusions par rapport à son avenir. « Ma vie professionnelle est terminée. L’important, pour moi, c’est de me rendre au bout de mon processus », dit-elle.

Pendant ce temps, à Malibu, Caitlyn Jenner apparaîtra, toute souriante, dans une nouvelle docusérie sur la chaîne E ! (26 juillet) à propos de sa nouvelle identité. À Saint-Hyacinthe, Huguette St-Denis gratte les fonds de tiroir pour un billet d’autocar aller-retour à 24 $ vers Montréal.

Une même transréalité, mais deux univers aux antipodes.

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