DENISE HO, VEDETTE POP

L’ex-Montréalaise qui dérange la Chine

Elle est une vedette pop cantonaise, elle milite pour défendre la démocratie à Hong Kong et, évidemment, elle dérange les autorités chinoises. Au point où, cette semaine, Pékin a fait pression pour annuler un de ses concerts. D’où vient cette passion de Denise Ho pour la liberté d’expression ? Probablement de son adolescence montréalaise à l’époque du référendum de 1995, a-t-elle confié à notre collaborateur.

HONG KONG — Voilà une semaine que Denise Ho attend « non pas des excuses, mais une explication ».

La vedette hongkongaise de la cantopop défraye la chronique depuis que Lancôme a annulé un concert à Hong Kong au cours duquel elle devait se produire. Dimanche, dans un communiqué, le groupe français de cosmétique a justifié sa décision par des « raisons de sécurité ».

Or cette décision intervenait quelques heures après les critiques du Global Times, un des journaux porte-voix de Pékin, contre l’événement et les opinions politiques de la chanteuse.

Lancôme est accusée d’avoir cédé pour sauver ses affaires en Chine continentale. L’Oréal, sa maison mère, a annoncé que la Chine était devenue son deuxième plus grand marché. « Leur attitude est très décevante », peste Denise Ho dans un entretien avec La Presse.

L’ancienne adolescente de Montréal avait commencé la conversation en français, teinté d’un net accent québécois. Mais pour ce sujet sensible, « [elle] trouve mieux [ses] mots en anglais », a-t-elle justifié. Dès le début de l’incident, « moi et mon manager avons offert notre aide, car ce n’est pas la première fois que je subis ce genre de pression de la part du gouvernement chinois. L’Oréal n’a toujours rien expliqué », regrette la chanteuse.

Mercredi, à Times Square, haut lieu commerçant de l’ancienne colonie britannique, plusieurs dizaines de manifestants ont protesté devant le magasin Lancôme. « Où sont les valeurs de la France ? », a hurlé Claudia Mo, une députée du Parti civique.

La Toile aussi s’est enflammée pour cette affaire. Une pétition de soutien lancée à Paris avait récolté hier près de 70 000 signatures.

DENISE HO, LE « POISON »

Qualifiée de « poison » par le Global Times, Denise Ho est connue pour ses chansons, mais aussi pour ses prises de position politique. Fin 2014, elle faisait partie des manifestants prodémocratie arrêtés le dernier des 79 jours du mouvement des parapluies. Autre sujet d’irritation à Pékin, elle a rencontré le mois dernier le dalaï-lama, que la Chine populaire décrit comme un séparatiste.

Son engagement « est atypique », observe Gérard Henry. Vice-directeur de l’Alliance française de Hong Kong et fin connaisseur de la scène culturelle locale, il estime que « très peu d’artistes se risquent à des déclarations politiques, parce qu’ils font beaucoup d’argent en Chine ». Gérard Henry rappelle aussi que Denise Ho s’est fait remarquer fin 2012 « lorsqu’elle a annoncé publiquement son homosexualité. C’était alors peu courant pour une personnalité aussi publique ».

D’où lui vient son énergie politique ? « Je ne sais pas !, rit-elle. J’essaie de faire ce qui est juste. J’ai cette responsabilité. Je ne fais que demander la liberté d’expression. » Avant de se souvenir : « J’ai passé toute mon adolescence au Canada, en particulier à un moment où un référendum sur l’indépendance du Québec s’est tenu. Pour moi, que des citoyens souhaitent devenir indépendants ne devrait donc pas être considéré comme un crime », indique-t-elle en faisant allusion aux partis indépendantistes créés dans l’ancienne colonie britannique ces derniers mois.

Pas question cependant de se déclarer pour une telle indépendance : « C’est au peuple de Hong Kong de répondre, pas à moi. »

DE BRÉBEUF À L'UQAM

En 1988, Denise Ho a 11 ans. Ses parents, enseignants, quittent Hong Kong pour Montréal. Elle y fréquentera le collège Jean de la Mennais, à La Prairie, sur la Rive-Sud, puis le collège Jean-de-Brébeuf, avant de commencer des études de design graphique à l’UQAM. Sa vie bascule l’année de ses 19 ans. Elle s’inscrit à un concours de chant hongkongais et, à sa grande surprise, raconte-t-elle dans plusieurs interviews, en sort vainqueure. Le prix lui permet d’enregistrer un disque. Surtout, le concours lui fait rencontrer Anita Mui. La diva de la cantopop deviendra son mentor et la carrière de Denise Ho, HoCC de son nom de scène, sera lancée.

Aujourd’hui, elle paye le prix de son engagement politique : « Depuis le mouvement des parapluies, j’ai été interdite de toute activité en Chine. La dernière fois que j’y suis allée remonte à août 2014, alors que j’avais des engagements avec des marques internationales comme Louis Vuitton et Vidal Sassoon. » À l’époque, la Chine représentait « 70 à 80 % de [ses] revenus », estime celle qui chante aussi en mandarin depuis 2008.

Quant à sa rencontre avec le dalaï-lama, elle la qualifie avant tout de « spirituelle ». « Les tabloïds chinois ont tout déformé, et ils tentent de réduire au silence les personnes qui, comme moi, parlent en faveur de la démocratie et des droits de l’homme. »

Elle estime qu’elle n’est pas « la seule concernée ». La promesse d’autonomie faite lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997, « n’est pas tenue ». « Le concert que je devais donner avait été organisé par avec Lancôme Hong Kong, et non Lancôme Chine. Il devait se tenir à Hong Kong. Voilà pourquoi cette affaire est particulièrement choquante », souligne-t-elle.

Une affaire qui contribue à alourdir le climat politique, marqué en début d’année par la disparition de plusieurs libraires hongkongais qui vendaient des livres critiquant le régime communiste.

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