L’avis du nutritionniste

Les locavores sont tellement mainstream

Le local est le nouveau biologique. C’est du moins ce qu’affirme un rapport de la firme Havas Worldwide publié plus tôt cette année. Quand la Californienne Jessica Prentice a inventé le terme « locavore », elle ne se doutait probablement pas qu’une décennie plus tard, ce mouvement jouirait toujours d’une aussi forte résonance mondiale.

On connaît la chanson. Pendant une grande majorité de l’histoire de l’humanité, on s’est nourri à partir des ressources environnantes. En fait, il suffirait probablement de retourner à peine une centaine d’années dans le passé pour que notre assiette soit encore constituée en majorité d’aliments locaux.

Je ne suis pas né à cette époque. Je viens d’une période d’abondante diversité alimentaire. Jamais de ma vie ne suis-je entré dans un supermarché en me demandant s’il me serait possible d’y trouver des bleuets ou des oranges. En plein hiver comme en été, nous avons accès aux aliments frais provenant de partout sur le globe, ce qui est bénéfique pour la santé et plaisant pour les papilles. Mais évidemment, et c’est la prémisse qui allait faire naître le mouvement local, plus les aliments viennent de loin, plus on doit utiliser de l’énergie pour les déplacer, générant par le fait même des gaz à effet serre.

En août 2005, Mme Prentice et ses acolytes lancent le défi locavore aux habitants de la région de la baie de San Francisco. Pendant un mois, ils devront s’approvisionner uniquement en aliments provenant de lieux situés à moins de 100 milles (160 km) de San Francisco. Rapidement, le mouvement s’enflamme et, à peine deux ans après son inauguration, grâce à l’engouement généré par le défi, le terme « locavore » est inscrit dans l'Oxford American Dictionary.

Force est d’admettre que, plus d’une décennie après la naissance du néologisme et de la philosophie qui l’anime, manger local continue à influencer le contenu de notre panier.

Cette année, la firme de marketing Havas Worldwide a interviewé près de 12 000 personnes mondialement dans le cadre d’un rapport sur les tendances alimentaires. Parmi celles recensées, elle déclare que le local remplace désormais le biologique. En effet, près d’un tiers des personnes interviewées utilisaient le terme « local » pour décrire leur alimentation, contre 18 % qui l’ont décrite comme « biologique ». Plus de 6 personnes sur 10 disaient être prêtes à payer plus cher pour des aliments produits à proximité et environ 1 personne sur 2 disait faire un effort conscient pour éviter les aliments hors saison.

Même son de cloche ici. L’édition 2016 du rapport Baromètre de la consommation responsable, de l’Observatoire de la Consommation responsable à l’UQAM, illustre bien que les produits locaux ont la cote auprès des Québécois. Un peu plus d’une personne sur deux interrogées affirmait consacrer au moins 30 % du budget alimentaire aux aliments locaux.

Évidemment, entre ce qu’on répond dans le cadre d’un sondage et ce qu’on fait, il peut exister un monde de différences. Encore aujourd’hui, au Québec, par exemple, les aliments voyagent généralement des milliers de kilomètres entre le lieu de production et l’assiette. Malgré tout, le Conference Board du Canada estimait en 2013 que notre province était celle qui mangeait le plus local au pays, avec environ le tiers des aliments consommés qui sont produits chez nous.

Je déteste le dogmatisme et les extrêmes. Oubliez donc tout de suite de manger local à 100 %, surtout au Québec. Et nul besoin de commencer à mesurer la distance qu’ont parcourue vos aliments pour vous déclarer locavore. Par contre, je crois qu’apprendre à modifier notre menu en suivant les saisons, comme le faisaient les générations précédentes, peut être bénéfique pour tous.

Manger local, c’est simplement préférer les aliments cultivés et élevés près de chez nous aussi souvent que possible. C’est acheter québécois. C’est s’inscrire à un panier de fruits et de légumes. C’est visiter un marché public. C’est cultiver un potager sur notre balcon ou le bord de la fenêtre. C’est apprendre à conserver en période d’abondance. C’est rencontrer l’agriculteur qui a fait pousser la pomme dans laquelle on croque. C’est redécouvrir les saveurs de notre patrimoine culinaire.

Je ne sais pas si le local est vraiment le nouveau bio, mais ces données sont encourageantes. Malgré tout, il m’apparaît certain qu’encore aujourd’hui, nous avons des croûtes de pain local à manger pour intégrer ce concept à tous les échelons du système alimentaire. Et tout le monde y gagnera : nous, nos agriculteurs, notre économie, la planète et nos papilles.

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