Chronique

Ne lâchez pas, M. Hollande…

Monsieur le Président,

Bienvenue dans « la Belle Province ». Il y a longtemps qu’un président de la République nous a rendu visite. Ce n’est pas l’été indien, hélas, mais sachant l’hostilité du climat dont vous souffrez en France, nous espérons que le nôtre saura vous réchauffer…

Je vous écris, M. Hollande, pour vous remercier d’avoir évoqué l’importance de Samuel de Champlain à Ottawa, hier. Et surtout, pour vous inciter à aller plus loin ce matin à l’Assemblée nationale.

C’est que, voyez-vous, il n’y a pas que dans la capitale canadienne qu’on souffre d’amnésie. Dans la Vieille Capitale aussi, on croit qu’il vaut mieux se faire racoleur que défenseur de notre histoire.

Et j’insiste sur l’utilisation du « nous ». Car en éliminant Champlain de notre toponymie, c’est bien à « notre » histoire commune que s’attaquent les gouvernements Harper et Couillard.

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Je comprends, Monsieur le Président, que l’époque où la France intervenait dans les affaires internes du Canada et du Québec est révolue.

Mais ce qui se trame dans les officines fédérales mérite plus qu’une allusion à la grandeur de Champlain dans un discours tout en nuances. Cela mérite une réaction officielle.

Le fédéral entend tout de même effacer le nom d’un de vos plus illustres compatriotes du plus important ouvrage d’art de la métropole. Champlain ne sera plus à Montréal, dès lors, que le nom de quelques rues et, indirectement, d’un restaurant déserté qui a coûté cher à rénover (d’un haut-fond aussi, pour tout vous dire).

Il vous faut savoir que l’entêtement de Stephen Harper est légendaire. Et à part une intervention de votre part, en pleine négociation d’un traité de libre-échange cher à ce dernier, je vois difficilement ce qui pourrait le faire reculer.

Le révisionnisme de M. Harper est d’autant plus insultant qu’il a lieu au moment précis où il ramène par la porte d’en arrière de grands pans de l’histoire britannique au pays. Tout redevient soudainement « royal ».

Et pourtant, il n’hésite pas à gommer le nom d’un des plus importants envoyés du roi. Français, celui-là…

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Rassurez-vous, Monsieur le Président, je ne veux nullement vous amener sur le terrain glissant des relations intergouvernementales, encore moins des chicanes entre fédéralistes et souverainistes.

J’ose vous interpeler, car, justement, Samuel de Champlain est le personnage le plus rassembleur, celui qui peut trouver la faveur des Québécois et des Canadiens.

Champlain fut le fondateur de Québec, mais aussi, du coup, de la première ville canadienne. Il a exploré le Saint-Laurent, le Saguenay, l’Outaouais, mais il a également été parmi les premiers Européens à naviguer sur les Grands Lacs. Il a cartographié le Québec et baptisé l’île Sainte-Hélène, mais il a aussi exploré une grande partie du continent.

En outre, Champlain est le fondateur du monde francophone en Amérique, le précurseur de l’Acadie, mais aussi, comme le rappelle l’historien de la TELUQ Éric Bédard, le premier à croire aux richesses de la vallée Laurentienne, le berceau du Canada moderne.

Bref, l’homme est plus grand que nature, une grandeur qui transcende le territoire de la province, les partis, les idéologies.

On vous dira que c’est aussi le cas de Maurice Richard. Ce qui est vrai. L’homme est une icône au Québec. C’est un héros national par qui l’affirmation collective de tout un peuple s’est exprimée. Et c’est une légende applaudie autant par Réjean Tremblay que Don Cherry (croyez-moi, c’est un exploit).

Mais les qualités et les exploits de ce « joueur de hockey populaire », pour citer L’Express (vous m’excuserez), ne font pas de lui un homme de l’envergure du père de la Nouvelle-France.

Je vous recommande d’ailleurs la magnifique biographie de Champlain par David Hacket Fischer pour votre vol de retour. Fascinante.

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Entre vous et moi, Monsieur le Président, nous ne sommes pas surpris par la décision de Stephen Harper. Le premier ministre a certes un intérêt pour l’histoire (surtout celle qu’il peut réécrire), mais plus encore pour le hockey.

Il vient de publier un livre sur le sujet. Il a nommé un entraîneur de hockey au Sénat. Et son café préféré porte le nom d’un joueur de hockey. Qu’il ajoute un pont à la liste est choquant, mais pas étonnant.

Par contre, ce qui laisse pantois, c’est d’entendre un homme aussi érudit et sensible à l’histoire que votre hôte du jour, Philippe Couillard, affirmer qu’il « n’est pas contre l’idée ». Un assentiment qui peut contrer à lui seul toute l’opposition citoyenne au changement de nom.

En tout respect, donc, vous auriez intérêt à ramener le sujet sur la table aujourd’hui. J’oserais même vous faire une suggestion. Sachant que les fédéraux ne démordent pas de l’idée qu’il s’agit d’un « nouveau pont » qui doit avoir un « nouveau nom », pourquoi ne pas proposer d’utiliser Samuel de Champlain tout du long ? Vous feriez ainsi œuvre critique et utile en même temps, ce qui arrondirait les angles diplomatiques.

Je vous remercie pour votre visite, Monsieur le Président. Vous avez, comme on dit chez nous, le sens du timing.

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